Caché derrière les murailles, l'immense disque incandescent jetait ses dernières lueurs sur l'herbe. La brise jouait avec les capes autour des casernes, assaillies par la relève. A l'opposé, aucune fenêtre ouverte sur la façade du château. Aucune trace de vie derrière les rideaux. Mais, comme d'habitude, les apparences étaient trompeuses. Assise sur le toit, je gardais un œil en direction de cette énergie immense, fabuleuse, qui dansait juste derrière les voiles.
Pleh ne venait pas.
Je n'en étais qu'à moitié surprise.
Quelques groupes patientaient encore à l'entrée du QG de notre armée. Un flot de civils s'échappait en continu des portes, pour se diriger droit vers les autres strates. Les petites silhouettes noires allaient au plus court, sans détour, surveillées par les yeux lointains de leurs collègues en uniforme. La Prairie semblait un lieu privilégié, ou peut-être plus encore, qui ne supportait pas que n'importe quels pieds foulent son herbe. Peut-être était-ce cela qui empêchait Pleh de me rejoindre ? Pourtant, il devait se douter que les autres hésiteraient à s'interposer, même les plus hauts-gradés. J'avais enlevé la cape, mais elle était toujours là, bien serrée dans ma main. Quant à mon nom, il ne me quittait jamais.
Les ombres s'étiraient de plus en plus. Le ciel, loin à l'est, était déjà teinté d'un bleu dense et sombre. En quelques minutes, les derniers rayons s'évaporèrent, pour être remplacé par les légers scintillements des étoiles.
C'était le dernier. Une ultime silhouette disparut dans les marches des grands escaliers. Je lâchai la cape, puis ma tête tomba entre mes doigts de fatigue. Le vent soufflait plus fort, la nuit tombait, je ne me redressais pas. Même ce regard divin, qui m'observait à distance, ne m'incitait pas à bouger.
Le noir. Le calme. Perturbée plus que de raison par l'absence de Pleh, j'avais besoin d'une pause. L'odeur de l'herbe humide montait déjà du sol. Le rugissement lointain du vent s'entendait bien, si on se concentrait. Le pouvoir tambourinait au fond de ma poitrine, comme un deuxième battement de cœur. Pendant une longue minute, je me sentis calme, vide, puis je me relevai. La soirée était loin d'être terminée.
Je jetai un dernier regard vers la caserne. Puis, une fois n'était pas coutume, j'épiai les remparts les plus proches. Aucun uniforme d'Archer dans la pénombre, ni de trace de cette tête-de-linotte-fleur-bleue.
Sans rire d'ailleurs, à quoi jouait-il, celui-là ?
Ces derniers mois, j'avais dû autant l'apercevoir que le caporal Migonem, même avec tous les efforts de ce dernier pour m'éviter. « Il est aussi convoqué en troisième strate, ce soir. » me rappelai-je. Peut-être l'avais-je lu sur un rapport d'organisation, ou que savais-je encore. Aurais-je l'immense honneur de le croiser en bas ? Motivée, je m'étirai, lançai la main vers ma cape.
Mais je ne la trouvai pas. Perplexe, je tournai la tête, et des tâches luminescentes m'assaillirent immédiatement comme un flash en pleine nuit.
La cape, les rapports, balayés par le vent, tout restait suspendu, froissé, illuminé d'un vert nonchalant. Les éclats brillants s'intensifièrent avec ma crispation.
Sans réfléchir, je lançai les bras, ramassai les feuilles par brassées, un pied jeté sur la cape. Les rapports s'amoncelèrent sous le tissu redevenu sombre. Je le recouvrai à quatre pattes, cœur battant, le regard fixé sur l'horizon, tandis que les dernières lumières s'estompaient. La nuit continua son arrivée tranquille, alors qu'un pouffement de rire, lointain, s'éteignait dans mon esprit.
Par tous les nuages, même derrière les rideaux du château, on avait l'air de s'amuser.
« Il n'y a rien de drôle ! » vociférai-je, même si je ne savais pas exactement contre qui.
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L'Angevert - Partie II
Paranormal[Ce résumé contient des spoils sur la Partie I] Utopie n'est plus à portée d'ailes, pourtant Lyruan n'a jamais été aussi troublée. Promue major de l'Armée Blanche, la jeune gradée forme ses soldats sans relâche, la magie de l'Angevert coincée dans...