Chapitre 2 - Oppression

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Les chandeliers avaient été apportés par dizaines, comme par volonté d'éclairer chaque recoin de la pièce. Leurs lueurs vacillantes se reflétaient jusque sur le verre déjà sombre de la fenêtre, prêtes à repousser la nuit elle-même. Mais il était une ombre, qu'aucune flamme ne parviendraient jamais à chasser : celle qui planait dans le regard le plus lumineux de Vendomeland.

L'obscurité, elle l'aurait mille fois préférée à cette tiédeur fausse, ce tremblement agressif, qui, aussi bien qu'il créait la lumière, projetait de sinistres silhouettes sur les murs. Plus noirs que la Prairie au-dehors, ces grands êtres ténébreux la surveillaient, la toisaient, épiaient son moindre geste, sa moindre parole.

Avec eux auprès d'elle, le temps s'étirait indéfiniment. Au ralenti, la main du Général se leva, jusqu'à venir écraser les ombres de ses doigts sur son plastron de cuir.

— Je vous en prie.

Le son de sa voix réchauffa l'air un court instant, puis la tension retomba sur ses épaules voûtées, fragiles. Elle était la plus vénérée de ce royaume. La Sauveuse des mortels, le seul rempart contre Utopie. Pourtant, tout ce qu'elle ressentait, des lourds draps brodés qui entravaient ses jambes, à la respiration lente et grave de ses gardiens, sans oublier ces deux yeux de glace, ceux de la Reine, figés sur elle comme s'ils la sondaient à chaque instant, tout cela, qui aurait pu dire que c'étaient là des privilèges d'un être supérieur ? Elle était déesse. Mais opprimée. Déesse, mais jouet, marionnette, réceptacle du pouvoir, vide de vie, d'envies, d'espoirs.

Mais elle le voulait. Elle l'avait accepté, enfin.

Et, pour l'heure, elle savait exactement ce qui lui restait à faire.

Lentement, ses paupières d'albâtre se fermèrent. Le Général n'aurait pas l'occasion de revoir le tourbillonnement de magie qui éclairait ses iris, qui attirait la convoitise de bien plus de personnes qu'elle n'aurait voulu l'imaginer.

A l'instant où elle rouvrit les yeux, le pouvoir fondit.

Puissant, invisible. Invincible. Respectueusement courbé en direction du lit, le militaire blond se pétrifia, étincela d'un vert fade, mais suffisant pour faire cesser le cours de son existence. Que ce soit la forte épée à ses côtés, ou son insigne, plus prestigieux que tous les uniformes de la troupe, rien ne l'avait sauvé. Face au pouvoir de l'Angevert, même le preux Général n'avait d'autre choix que de se soumettre.

A peine se mit-il à briller, un compte implicite commença dans la pièce.

Une minute.

Ses mains tremblaient déjà à la première seconde.

Deux minutes...

Un ultime effort comprima ses lèvres, mais le gémissement étouffé qui retentit suffit à déchirer le calme absolu de la chambre. Haletante, tremblante, elle s'effondra sur les broderies des draps, tandis que tous les regards se rivaient sur le Général. Veban, flou, bougeait placidement ses doigts devant lui, montrant, à qui ne l'avait pas encore compris, que le sort ne faisait plus effet.

L'uniforme du militaire était difforme. Les couleurs de sa cape se mélangeaient dans une peinture sans cohérence. Seule, la déesse invincible luttait pour garder conscience, fixait Veban libéré, de toutes ses forces. Si seulement sa présence pouvait lui transmettre du courage, mais il n'était qu'une silhouette parmi les autres, droite derrière les mèches qui pendaient de son front, et obstruaient sa vue, comme autant de barreaux de prison.

Le silence qui suivit, entrecoupée de sa respiration rauque, fut un des plus pesants qu'elle n'ait jamais vécu.

— Cela devient préoccupant, lança finalement haut une voix, ce que tous ici devaient penser tout bas.

L'Angevert - Partie IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant