A la seconde où je provoquai Meyram, une pression monstrueuse me saisit les entrailles.
Inspirer me fit trembler des pieds à la tête. Expirer me couvrit de sueur. Mon âme était bousculée, tiraillée, comme projetée dans un entre-deux impossible. J'avais l'impression de ne pas être à ma place, presque de ne plus faire partie de l'univers.
Meyram tentait de me figer dans le temps. Mais je n'étais pas encore immobilisée. Lui non plus ne l'était pas, malgré les apparences. Il n'avait pas levé le petit doigt. Ses yeux démentiels se contentaient de briller, étoiles vertes au fond de la nuit, au milieu de la pluie de gravats qui coulait dans la salle du trône.
Dans les remous de sa cape, dans ses longs cheveux affolés, des flots d'étincelles se levaient en tourbillons, dansaient jusqu'aux voûtes de la salle du trône. Il irradiait d'une force impossible, une force qui poussait vers l'arrière, en même temps qu'elle étreignait de toutes parts.
Je tenais bon, tentais de retourner les offensives. La pression augmenta encore. Le plafond de la salle s'effondra dans un tonnerre de craquements. Les cascades ralenties se mêlèrent aux fissures toujours plus rapides, qui avalaient au sol les pièces d'armure de la Garde. Des fissures, toujours des fissures. Elles couraient sur les colonnes, les murs, les arches. Elles partaient de mes pieds nus, de ses chausses noires.
J'étais retournée dans un cauchemar.
— Tu devrais abandonner.
Meyram m'avait parlé. Un instant, ma concentration se déroba, mon corps m'échappa, avant que je ne reprenne le contrôle de toutes mes forces. Mes dents grinçaient, mes jambes tremblaient, mes mains se convulsaient. La magie luttait de plus en plus fort, sa lumière crépitait de protestation.
En dépit de tout, je cherchais le courage là où il aurait dû disparaître.
Je pensai à Papa.
« C'est ici qu'il l'a tué. »
Impossible de dire si cette idée m'effrayait ou me galvanisait.
Les arabesques lumineuses se mirent à vibrer sur ma peau. La fébrilité des losanges semblait se communiquer à l'ensemble de mes bras. Au bas des marches fendues, le Roi d'Utopie eut un sourire patient. Ce genre de sourire bienveillant qu'il m'avait si souvent adressé, et qui ne pouvait dire autre chose que « pauvre être insignifiant ».
La pointe des chausses du Roi disparaissait entre les fissures, je n'avais pas la force de baisser la tête pour vérifier mes propres pieds.
Meyram entrouvrit de nouveau les lèvres.
— Nous ne sommes pas ennemis.
Un long craquement avala la suite de sa phrase. Mes pieds sombrèrent dans le sol, le plancher de marbre passa devant mes yeux, ma respiration se coupa, je venais de plonger dans de l'eau.
A son tour, le bassin du sanctuaire s'effrita sous la pression du pouvoir. Du nuage, de la pierre, puis le vide. La panique n'eut pas le temps de me retourner l'estomac, en pleine chute sans ailes, je baissai la tête.
Autour des rares cordes tendues, des grondements sourds semblaient continuer de craqueler le nuage.
— La hiérarchie n'a rien de bon.
Mon cou se dévissa. A quelques battements d'ailes, au milieu de larges gouttes d'eau, Meyram tombait lui aussi. Sa chevelure se dressait dans les vents comme une longue flamme blanche. Menton dans sa main, il avait l'air aussi calme qu'en discussion dans un salon.
VOUS LISEZ
L'Angevert - Partie II
Paranormal[Ce résumé contient des spoils sur la Partie I] Utopie n'est plus à portée d'ailes, pourtant Lyruan n'a jamais été aussi troublée. Promue major de l'Armée Blanche, la jeune gradée forme ses soldats sans relâche, la magie de l'Angevert coincée dans...