« Il faut que je prévienne Pleh. S'il apprend son renvoi face au Colonel, c'est sûr, il va craquer... »
A sa place, rien ne m'aurait plus déplu que de subir cette humiliation supplémentaire. Mais en sortant du bureau, impossible de retrouver mon collègue. Lui et le second du barbu s'étaient envolés je ne savais où. En tout cas, nulle part dans la caserne.
Pour ne rien arranger, la propagation des ordres, escouades par escouades, avait entamé un grand mouvement dans l'armée, qui finit à terme par me gagner aussi. Avec dix minutes de retard, je finis par transmettre les ordres à mon tour, puis me laissai emporter par les vagues ininterrompues des responsabilités de mon grade.
Certes, j'avais obéi. Mais plutôt que des ordres, j'avais cette désagréable impression d'avoir aidé à diffuser des mensonges.
Selon la version officielle, l'effondrement du balcon dans le Cœur Noir était une conséquence de l'insalubrité du quartier, ce que tout soldat un peu familier des lieux n'irait pas remettre en cause. Aucune mention de la bombe ; nous soulevions un corps d'armée entier, juste à la recherche d'éventuels « saboteurs ». Cela me faisait doucement rire. A la place de « terroristes », ce mot sonnait comme « petits malandrins ».
Même sans évoquer nos vraies préoccupations, l'annonce d'une descente d'envergure continua longtemps de remuer les plumes de tout le monde. Jusqu'à la nuit noire, je courais plus que je ne marchais. Mes allers-retours entre la caserne des Blancs, la centrale, les murailles et la deuxième strate, se compta par dizaines très rapidement. Jamais je n'avais tenu autant de papiers en main en quelques heures. L'armée bouillonnait, et prise dans le torrent de l'agitation, je n'arrivais plus à me concentrer sur autre chose que cette chasse au marché noir qui ne disait pas son nom. Finalement, la nuit arriva en l'espace d'un battement d'ailes. Je m'effondrai sur mon lit sans avoir pu revoir Pleh.
Mon camarade m'échappa encore le jour suivant. Et celui d'après. Toute major que j'étais, je devais me plier à ces longues et ennuyantes lectures de rapports, alors que l'urgence ne s'y prêtait pas. Lire. Prendre une décision, contrôler, puis lire à nouveau. Le sursis de Pleh s'écoulait, et ces liasses soporifiques ne m'apprenaient rien d'intéressant, à part peut-être deux choses. Primo, que prendre du grade n'avait pas que du bon. Secundo, que j'arrivais aussi bien à déchiffrer les écritures Vendomediennes, qu'à parler le français.
Matin après matin, soir après soir, silhouette après silhouette, à défaut de le voir, je continuais à m'imaginer Pleh dans sa chemise trop grande et ses sangles mal serrées. Les pas déterminés des escouades devenaient ses enjambées maladroites, les carrures inébranlables sa mince silhouette, qu'un coup de vent aurait pu faire plier comme un brin d'herbe. Chaque soldat était son semi-sosie, mais sûrement aucun ne partageait son vécu et ses espoirs de changer Vendomeland. Car, oui, je le pensais. Cette aspiration viscérale à améliorer les conditions de son quartier, cet idéal d'égalité, c'était cela qui donnait sa force à Pleh. S'il restait, il irait jusqu'au bout, et il apporterait beaucoup de bien à l'armée.
Mais, à la place, ce vieux croulant de Colonel allait le déshonorer. Impensable, intolérable, et pourtant...
Naturellement, j'y pensais encore ce matin-là.
Le soleil immense pointait tout juste derrière les remparts que, les enjambées sèches, je me rendais à la caserne, en m'évertuant à parcourir les rapports de la veille. J'avais dû abandonner leur lecture à la bougie il y avait quelques heures à peine, et vérifiait distraitement un mot sur deux, sans que rien n'attire mon attention. Jusqu'à cette nouvelle directive, que je manquais de peu. Pas plus lisible que les autres, elle m'ordonnait d'envoyer un groupe prendre la relève d'un autre, suivi de coordonnées rédigées à la hâte.
VOUS LISEZ
L'Angevert - Partie II
Paranormal[Ce résumé contient des spoils sur la Partie I] Utopie n'est plus à portée d'ailes, pourtant Lyruan n'a jamais été aussi troublée. Promue major de l'Armée Blanche, la jeune gradée forme ses soldats sans relâche, la magie de l'Angevert coincée dans...