Chapitre 28 - Le Général (partie II)

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Je m'attendais à ce que ce soit difficile d'avancer face au Général.

Mais par pour les bonnes raisons.

Les parchemins recouvraient le sol. Ils dissimulaient les reflets traitres des dallages de marbre, sous une couche aussi stable qu'une patinoire. Au moindre pas, ma sandale exprimait le besoin vital de partir en avant. Mollets comprimés, sueur sur le front, je progressais doucement, en me lançant dans des études poussées de la topographie. Une couche de paperasse invitait à la contourner. Des feuilles éparses parcourues de schémas semblaient plutôt fiables. Mais le pire restait à venir. Un escalier, d'une dizaine de marches, me séparait encore du bureau. Et il était tant recouvert de feuilles, que je l'aurais plutôt envisagé comme un toboggan, qui aurait permis à mon hôte de descendre.

Malheureusement, le Général ne semblait pas disposé à me rejoindre. Debout derrière son autel de marbre, il dégageait les feuilles qui l'encombraient de gestes vifs. De nouvelles vagues de notes se rajoutaient aux mille autres, à m'en faire grincer les dents. Puis, le sol tapissé se couvrit de deux ombres. Les ombres de ses ailes, qui percèrent la large cape quadricolore. Grandes, effilées, leurs plumes partirent frôler le sol, pour soulever quelques papiers, puis les ramenèrent avec délicatesse, devant ce visage implacable. Il était moins âgé que je ne le pensais. Plus la distance se réduisait, plus je lui enlevais des années.

Je parvins de l'autre côté de la table avec l'impression d'avoir gravi une montagne.

— Dire cela un jour m'aurait paru absurde, murmura le Général sur son parchemin.

Les ailes disparurent. Les feuilles, libérées d'entre les plumes, voletèrent jusqu'à toucher le marbre, dévoilèrent un visage de marbre.

Ses yeux bruns s'étaient plantés dans les miens.

— Heureux de vous revoir, Lyruan Walkaerys.

Difficile à croire qu'il l'était réellement. D'un geste raide du menton, le plus haut gradé désigna le fauteuil à mes côtés. J'y comprimai le dos sans dire un mot, gorge nouée, tandis qu'il s'éloignait vers la fenêtre à pas lents et fermes, des bruissements de cape et de papier froissé derrière lui.

— Quel honneur, pour cette pièce, résonna sa voix d'une neutralité froide bien éloignée de ses grands discours. Une Walkaerys. Ici, plus qu'ailleurs, votre père nous regarde, vous savez.

J'avalai sans le vouloir. Tranquille, le haut-gradé continuait à avancer.

— A en croire ce qui se dit, vous avez hérité de son talent. Vous enchaîneriez les prouesses. Une perte de mémoire n'empêche pas les progressions rapides, semble-t-il... Que dis-je, fulgurantes. Première recrue il y a un an et deux mois, vous voilà déjà major.

Face aux hauts carreaux de verre, il s'arrêta. Tête retournée, ses longs cheveux blonds se courbèrent contre l'attache de la cape aux couleurs des trois corps, découvrirent un anneau d'or sur l'oreille. Et un œil braqué dans ma direction.

— J'ai beaucoup de respect pour feu votre père, murmura-t-il droit dans mes yeux. Le Général Walkaerys était d'une grande clairvoyance. La force de ses principes m'est source d'inspiration, d'autant plus que nous poursuivons les mêmes objectifs.

Une lueur sembla s'allumer dans son regard.

— Savez-vous quels sont ces objectifs, major Walkaerys ?

— Non, mon Général.

Où avais-je trouvé la force de répondre si vite ? Sans doute dans sa simple présence, car je sentais que la moindre hésitation aurait pu se transformer en déshonneur. Après un regard sur la Prairie, ses pas le portèrent sur le sol de papier, avec la même détermination que lors de la revue des troupes. 

L'Angevert - Partie IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant