Sans ces yeux, personne n'aurait pu se croire face à une déesse.
C'était un squelette. Un fantôme, un mort-vivant, une morte tout court. A se demander ce que cette poupée décharnée faisait ici, laissée à l'abandon, au milieu de tant de splendeurs. Elle n'avait plus de corps. Sa peau rachitique disparaissait entre les plis d'une robe blanche trop grande, des draps brodés, des tentures, des rideaux repliés. Elle n'avait plus de visage non plus. Des torrents de cheveux, secs comme les blés, avalaient ce qui pouvait encore ressembler à une expression.
L'Angevert me regardait et je me perdais dans sa lumière. Le vert dansait dans son regard comme une flamme emprisonnée. Il s'intensifiait, disparaissait derrière son iris, se ravivait dans des myriades de teintes et de lueurs. A chaque instant, on l'aurait cru prêt à jaillir, prêt à renverser l'ordre de l'univers. Et le temps ne comptait plus face à cette aberration – ou cette merveille, je ne savais plus vraiment. Les secondes s'égrainaient une par une, sans que je ne sache si elles n'étaient pas en réalité des minutes.
Combien d'éternités restâmes-nous ainsi ? Combien d'éternités aurais-je pu encore tenir ? Des phrases familières se mettaient à résonner dans mon esprit. Il ressassait des soupirs, je ne les écoutais pas. Un gouffre absorbait ma conscience, je n'espérais pas la récupérer. Une seule chose comptait désormais. La fixer, la fixer encore, elle et cet indicible qui l'habitait toute entière.
Mais les lumières disparurent. Elle avait détourné les yeux.
Des mains maigres s'appuyèrent à son côté. Les angles squelettiques de ses coudes tendirent la soie blanche, la courbèrent avec délicatesse, jusqu'à ce qu'elle disparaisse au milieu des coussins. La pâle apparition rejoignit mes souvenirs en ébullition. Elle n'avait laissé derrière elle qu'une silhouette informe, ensevelie sous les drapés, et quelques mèches ondulées, échouées contre les broderies.
Le vent de la fenêtre dut jouer avec mes cheveux bien trop de fois. Hors de sa vue, c'était comme si la pièce devenait vide. Pas un souffle, pas un geste. Le silence, l'immobilisme. Seul un esprit semblait demeurer, invisible, mais d'une puissance qui se ressentait jusqu'au plus profond de soi.
Un énième cheveu se planta dans mon regard fixe. Je me secouai, sentis le frisson froid qui courait sur mon échine. La tête ailleurs, je décidai vaguement d'avancer.
Je me raclai la gorge, elle était bien plus sèche que je ne le pensais. Mes pieds me guidèrent le long d'une commode basse, surplombée d'un miroir cristallin. Un réflexe me jeta sur ces yeux émeraude sombre désabusés – les miens – puis je me retournai, et bras croisés, m'appuyai contre le bois du meuble. Sous les draps, la silhouette n'avait pas bougé. Je reniflai, regard sur mes pieds, puis sur la fenêtre, puis sur la porte. Une seule seconde s'était écoulée, je comptai la deuxième en essuyant ma paume sur la coudière.
Difficile de ne pas jeter un œil de temps en temps. Sous les rideaux du baldaquin rayonnait un véritable trésor de jade et d'or. Mais le reste de la pièce ne partageait pas les parures et les macramés. J'avais face à moi un joyau dans un coffre-fort.
Vivait-elle encore, au moins ? Oui, malgré les apparences, la petite statue ne dormait pas. L'énergie se dégageait du lit en vagues régulières et paisibles, aussi immenses les unes que les autres. Elles venaient chatouiller mon ventre. Jamais je n'avais autant eu envie de m'arracher les entrailles.
Elle ne dormait pas ? Alors, autant ne pas perdre mon temps, pensai-je. Mais à rester près d'elle, je sentais mes repères chamboulés. Je ne savais plus ce que je voulais. Rester ainsi, à laisser le pouvoir tournoyer dans mon corps sans chercher à l'en empêcher ? Garder le silence, regarder là où il n'y avait rien à regarder, juste en sachant qu'elle était là? Sans savoir choisir, je faisais tout à la fois. Je restai statique, presque assise sur cette commode, à la hauteur finalement bien pensée. La pièce me plongeait dans sa léthargie. Doucement, je me laissais gagner.
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L'Angevert - Partie II
Paranormal[Ce résumé contient des spoils sur la Partie I] Utopie n'est plus à portée d'ailes, pourtant Lyruan n'a jamais été aussi troublée. Promue major de l'Armée Blanche, la jeune gradée forme ses soldats sans relâche, la magie de l'Angevert coincée dans...