36. Des images et des mots

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Bon, voilà. Je me lance. C'est stupide, vraiment... Mais bon, peut-être que Jia a raison. Peut-être qu'écrire me fera du bien, que ce sera une bonne thérapie ; même si je ne suis pas du genre à tenir un journal intime. Là tout de suite, j'ai juste envie de faire disparaître ce carnet dans les flammes dès que j'aurais fini de le remplir ; ou peut-être que d'ici là j'aurais changé d'avis et qu'il restera. Mathias ou Simon répondrait en ricanant que « la constance d'une femme, c'est son inconstance » ; Benjamin prendrait ma défense en répliquant que changer d'avis, c'est la liberté de l'artiste. Tu parles, ça fait des années que je n'ai pas sorti mes crayons ou rallumé mon appareil photo. J'ai tellement perdu l'habitude que ça me fait mal au poignet d'écrire ; j'ai les doigts crispés autour de mon stylo. Il faut que j'essaie de me détendre... Ça fait déjà quelques jours que nous sommes rentrés de l'hôpital ; pourtant l'ambiance est toujours aussi... bizarre. C'est tendu et en même temps très tendre, très affectueux. Les couples qui ont été affectés tentent de reprendre confiance tandis que les autres les observent discrètement avec pitié. Ceux qui n'ont pas été traumatisés par cette histoire poussent les victimes à se relever très vite ; les autres leur demandent de prendre du temps. Rien n'a l'air de fonctionner. L'autre soir, Mathias m'a prise dans ses bras ; il a un soupçon de l'odeur de son père, c'est normal et on ne peut rien y faire, mais il y avait quelque chose de tellement familier avec la chambre sombre de Paul que je n'ai pas réussi à surmonter mes propres souvenirs. Et il était déçu, ou vexé ; plutôt blessé, je ne suis pas sûre, mais il s'est écarté avec tristesse en s'excusant. On s'excuse mutuellement, on n'avance pas ; lui parce qu'il ne sait pas comment faire, moi parce que je ne sais pas comment digérer la réalité : violée par le père de son compagnon.

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Je soupire en sentant les mains froides de Mathias sur ma peau, ce qui m'arrache un frisson. Il me lance un coup d'œil rapide et baisse les yeux sur ma jambe.

— Ça va ?

— Oui, tu as juste les mains froides, le rassurais-je.

Il hoche la tête et commence à frotter ma jambe, autant pour réchauffer ses mains contre ma peau que pour échauffer mes muscles meurtris. Je me tiens allongée sur le lit, redressée sur mes coudes et l'observe avec attention. Il ne s'est pas rasé depuis longtemps, ça lui donne l'air encore plus sombre que d'habitude ; et, une fois de plus, je constate qu'il n'est pas plus avancé que moi dans l'acceptation de tout ce qu'il s'est passé à la frontière.

Il soupire bruyamment et pose un genou sur le matelas pour se mettre bien en face de moi. Je hausse les sourcils en essayant de mieux voir sans bouger – combien de fois m'a-t-il grogné après parce que je ne tenais pas en place ? Un sourire fugace passe sur mes lèvres.

— J'avais peur que ce soit plus moche que ça, avouais-je à voix haute.

Aussitôt le guerrier fait claquer sa langue contre son palais, clairement pas d'accord avec moi. Il serre légèrement sa prise sur ma jambe et commence à masser doucement, mais ce simple geste m'arrache une grimace.

— Encore heureux que ce ne soit pas plus moche que ça, tu m'aurais entendu sinon ! Combien de fois je t'ai dit d'y aller doucement ? Hybride ou pas, c'est bien toi qui rabâche sans arrêt que tout ne se soigne pas d'un claquement de doigts, hein ? Mais il a fallu que madame n'en fasse qu'à sa tête, maugréé-t-il.

Bien qu'il s'adresse à moi avec véhémence, un petit rire contrit et innocent m'échappe. Il me décoche un regard assassin et je hausse les épaules, candide. Après tout je ne peux pas lui donner tort ; malgré la bonne guérison de mon genou, j'ai insisté pour aller me promener avec Louise, et j'ai glissé en pleine forêt. Cela a provoqué une ecchymose sur mon genou ; impressionnante, mais rien qu'une ecchymose. Mais Hizae m'a tout de même fait promettre de ne pas bouger plus que nécessaire tant que la fracture ne serait pas complètement remise.

Heart of Wolf - Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant