Heart of Wolf - Tome I

26. Piégés

Lorsque j'ouvre péniblement les yeux, il me faut quelques secondes pour reprendre pleinement conscience de mon corps. La première chose que je sens, c'est cette matière dure et rugueuse, glacée, sous ma joue : de la roche. Sans bouger, je remue précautionneusement mes doigts et mes orteils : mes membres répondent tous, malgré un engourdissement global qui doit être dû au fait que je suis allongée de travers. Avant de me redresser, je me focalise sur ce qui se trouve dans mon champ de vision, mais je n'ai pas beaucoup plus d'informations : de la roche, de l'humidité, et une pénombre ambiante qui attestent que je suis sous terre.

Je grimace, ma joue me lance. Le souvenir du combat se rappelle à moi et je me remémore la scène dans mon esprit. Lya, le combat à la frontière... C'est la griffure qui me fait mal. Je plisse les yeux et bouge lentement mon bras pour venir glisser le bout de mes doigts sur ma peau : les entailles n'ont pas l'air profondes, le sang a séché et j'arrache une petite croûte au passage. Je souffle lentement, vidant l'air de mes poumons, et me décide à changer de position. Je me retourne puis m'assied en prenant soin de vérifier à chaque mouvement que mon corps répond comme il le devrait ; pas d'autres blessures. C'est déjà ça de gagné.

Comme nous avons été pris en chasse par les loups du Nord, je suppose immédiatement que je me trouve à quelque part dans leur repaire ; c'est une manœuvre risquée, alors ils doivent avoir une bonne raison de l'avoir fait. Les autres, sont-ils au courant ? Est-ce que quelqu'un a entendu mon cri d'alerte ? Je n'ai entendu aucune réponse avant de perdre connaissance. À ce souvenir, je me frotte doucement la tempe et inspire profondément. Rester calme. Anticiper la suite. Ne compter que sur soi-même.

— Ah, enfin une qui se réveille.

Je ne sursaute pas, mais un frisson désagréable court sur ma peau avant que je ne tourne la tête du côté où provient le son. C'est la voix d'un homme, un léger accent oriental traîne dans son timbre, et je le distingue à peine dans l'obscurité ; mais je prends tout à coup conscience des barreaux qui se dressent entre lui et moi. Je ravale ma frustration ; c'était prévisible, et c'est d'ailleurs plutôt rassurant : s'ils me retiennent prisonnière, c'est que je dois leur utile d'une façon ou d'une autre, et donc que ma vie a une valeur relative.

— J'aurais cru que le loup beige était plus résistant, continue-t-il.

Je pivote sur moi-même en fouillant les lieux du regard, sourcils froncés. Je dois faire appel à mes sens hybrides pour y voir un peu plus clair, et je me crispe en distinguant tout à coup quatre autres silhouettes. Comment n'ai-je pas senti leur présence plus tôt ? L'homme a parlé d'un loup beige, il doit s'agir de Louka ; ce qui signifie que Jia doit être là aussi. Je me concentre sur les deux silhouettes les plus éloignées et manque de céder à l'envie souveraine d'aller m'assurer qu'ils vont bien lorsque je reconnais la cascade brune des cheveux d'Hizae. Ils ont pris Florian aussi. Lya, où est-elle ? C'était bel et bien une de leurs espionnes ?

— Je dois avouer que vous n'étiez pas tout à fait ceux qu'on avait dans le viseur, mais c'est toujours mieux que rien. Et puis, à cause toi, il a fallu que nos guerriers déguerpissent avant que les vôtres ne nous posent problème. Mais la fuite de Lya était une trop belle occasion de vous attirer près de la frontière et de vous distraire...

Ainsi... D'après ce qu'il raconte, s'il dit vrai, la louve blanche n'était pas là de façon préméditée. Elle faisait bien partie de leurs rangs, mais elle a dit la vérité lorsqu'elle a expliqué s'être enfuie... Et ils en ont profité ! Je n'ose pas imaginer ce qu'il se serait passé si Jia était restée seule à la frontière – je m'en serai trop voulu. D'un autre côté, si nous avions attendu d'être accompagnés par des guerriers de la meute, peut-être auraient-ils pu repousser l'attaque sans dommages. Mais maintenant, ça ne sert plus à rien de faire des suppositions ; il s'agit de se sortir de là, tous les cinq, en vie.