13. Combat

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Alors que je traverse la salle en travers, nous sommes brusquement percutés par une masse agitée de spasmes. En relevant les yeux, je tombe nez à nez avec la chevelure de feu de Louise. Tête baissée, elle ne s'embarrasse même pas d'excuses ; je lâche Mathias pour la poursuivre ; elle a l'air mal, je crois même qu'elle hoquette.

— Louise !

Surprise, la jeune femme finit par se retourner sous mes appels répétés. Je l'attrape par le bras et tombe des nues en découvrant ses yeux rougis.

— Oh, Louise, qu'est-ce qu'il se passe ? Où est Benji ?

À la mention du nom de l'espion, elle passe de blessée à furieuse. Elle fait de grands gestes vers la piste de danse, sourcils froncés.

— Ce salaud ! Qu'il aille se faire voir ! Je ne suis pas un jouet ! crie-t-elle.

J'ouvre de grands yeux, sans comprendre.

— Cet hybride de malheur m'a abandonnée comme une malpropre au bar pour aller chauffer des pétasses sur la piste de danse, et il en a carrément bécoté une sous mes yeux ! s'indigne-t-elle.

— Mais, je ne comprends pas... Benjamin est dragueur, mais respectueux ! Il n'aurait jamais fait sciemment un truc pareil !

— Tu es son amie, ton jugement n'est pas objectif ! rétorque-t-elle.

— Non mais, attends, c'est trop gros. On va aller le voir et il va s'expliquer, insistais-je.

Même si j'imagine qu'elle ne s'est pas privée pour déjà aller lui dire ce qu'elle pensait de son comportement. Mais nous réagissons tous sous le coup de l'émotion dans ces cas-là ; nous sommes tous impulsifs. Il nous faut juste quelqu'un pour nous canaliser.

Je plante mon regard dans le sien, déterminée. Elle fait la moue, l'air boudeur, cherche à se dégager ; je tiens bon et, enfin, elle lâche un long soupir tremblant et acquiesce sans un mot. Je fais marche arrière, évidemment Mathias est reparti ailleurs ; ça ne va pas être évident de rassembler tout le monde. En passant, j'aperçois très brièvement Hizae entraîner Simon, courbé en deux, à l'extérieur.

Quelque chose cloche définitivement avec cette soirée.

Je repère aisément Benjamin, un peu plus grand que les personnes qui l'entourent. Effectivement, il est penché – voire même vautré – sur une jeune femme à la robe provocante et au sourire carnassier. Sourcils froncés, je fonce sur eux sans lâcher Louise, et saute sur la jeune femme.

— Dégage, s'il te plaît.

Bien malgré elle, et très faiblement, Louise pouffe. Je ne touche pas la danseuse, consciente qu'elle risque d'en faire un scandale, et elle finit par s'écarter. Benjamin ne dit rien, complètement amorphe. C'est presque un miracle s'il tient debout tout seul.

— Oh, Benji ! Qu'est-ce qui te prend ? m'énervais-je.

Pas de réponse, je suis larguée, je ne comprends pas. Ce n'est pas Benjamin Gaeliks que j'ai en face de moi... Derrière moi, Louise grommelle.

— Tu vois ? Ça ne sert à rien. Allons-nous-en. Qu'il se débrouille !

— Louise, Jess ! Vous êtes là !

Nous pivotons toutes deux, surprises, lorsqu'Hayden débarque devant nous. Il fend la foule, plus grand que la plupart des gens, et beaucoup plus sobre aussi.

— Oh, Hayden ! J'étais avec Mathias, les potes de Julien l'ont fait boire, et Benjamin est complètement...

— Benjamin est un con, rétorque Louise.

Immédiatement, Hayden promène ses yeux sur nous, comprenant que quelque chose cloche. Il pose sa main sur l'épaule de Benjamin, qui semble le regarder sans le voir. Le guerrier robuste le bouscule légèrement et s'approche de lui pour détailler ses yeux. Je vois sa mâchoire se contracter : il passe sous le bras de l'espion et se tourne vers lui.

— Ses pupilles sont extrêmement dilatées, ce n'est pas normal. Je le ramène au chalet, Nadya est allée chercher nos affaires.

— Qu'est-ce qu'il a ? s'inquiète Louise avant que la colère ne reprenne le dessus sur son visage.

— C'est facile, ça peut être l'alcool ou la drogue. Il n'est pas en arrêt cardio-respiratoire et je doute que ce soit un anévrisme cérébral ou des médicaments...

Sans perdre de temps, il se met en route pour ramener l'espion en lieu calme. Louise et moi échangeons un regard surpris – même si, au fond, ce n'est pas si étonnant. Je lui fais un petit signe de tête.

— Nous sommes plus sensibles à ces substances que les autres... Dépêchons-nous de ramener tout le monde.

Bien que blessée et en colère, elle se force à acquiescer et inspire profondément.

— Je vais chercher Florian, Hizae et Simon. Tu pourras t'occuper de Mathias, Taylor et Jia ?

Je hoche la tête et nous nous dépêchons de fendre la foule, chacune de notre côté. Il me faut quelques minutes pour retrouver Mathias ; au bar : je l'attrape par le bras et le tire avec moi, ignorant ses remarques désagréables. C'est l'effet de l'alcool, Jess, ne le prends pas personnellement...

Après avoir fait plusieurs fois le tour de la salle, je finis par entrapercevoir le couple que je cherche : bras-dessus bras-dessous, ils tentent d'atteindre la sortie sans que je ne parvienne à savoir lequel des deux soutient l'autre. Je fais donc demi-tour et me dépêche de rejoindre la sortie – mais hybride ou pas, Mathias reste puissant, et il s'agite ; j'ai du mal à le maintenir. C'est une nouvelle aventure pour trouver nos affaires et les enfiler.

— Mathias, s'il te plaît, aide-moi... Enfile ta veste, soufflais-je.

— T'as pas à me dire ce que je dois faire, soupire-t-il en s'exécutant néanmoins.

— Je suis absolument d'accord avec toi, mais là, laisse-moi juste m'occuper de toi, insistais-je.

Pas qu'il ne soit pas en état de rentrer seul ; il n'en était tout de même pas là, mais... Oui, mon côté protecteur ressortait sûrement. Il marmonne un truc que je n'écoute pas, et j'entrelace mes doigts aux siens pour ne pas le perdre et l'entraîner dehors.

Le froid de la nuit me frappe de plein fouet et je frissonne, levant brièvement le nez vers le ciel étoilé. Enfin, le son commence à baisser, épargnant mes oreilles qui risquent de se mettre à bourdonner bientôt, mes tympans fragilisés par les basses incessantes depuis plus de deux heures.

Je fronce le nez en étant frappée par plusieurs effluves mélangées de pisse et de vomi. Je garde le regard braqué devant moi, franchement dégoûtée, et entraîne Mathias au nord de la ville ; où les parcs et espaces verts nous permettent de rejoindre la forêt, et notre territoire. Impossible de dire qui est sorti ou non ; qui est déjà sur le chemin du retour. Mais je suis certaine d'une chose : j'ai hâte d'y être, et de me blottir sous ma couette. Certes, cette soirée n'était pas celle que j'espérais, mais je ne regrettais pas d'être sortie. Fallait pas non plus qu'on devienne sectaires !

Sans décrocher un mot, j'entraîne Mathias jusqu'à la lisière des bois, le guerrier continuant de maugréer de façon inintelligible dans mon dos. J'allais me précipiter entre les arbres, rassurée et plus sereine, quand une nouvelle odeur – celle du sang – me perturbe.

— Mathias... Tu sens ça ?

Évidemment, il est ailleurs, sous le coup de l'alcool encore. Hors de question que je le laisse ici. Au moment où j'ai abandonné tout espoir de réponse, il m'arrête :

— C'est du sang, marmonne-t-il.

Je l'observe, surprise mais surtout inquiète. Ce n'est pas très loin... Je change de direction et me précipite entre les arbres, sur la droite. Sans que je comprenne bien pourquoi, mon cœur se met à tambouriner dans ma poitrine, faisant battre le sang contre mes tempes : un mauvais pressentiment...

Heart of Wolf - Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant