Heart of Wolf - Tome I

3. Les solitaires

Au moment où Julien est descendu, alors que nous étions en train de manger, réunis autour de la grande table, l'atmosphère s'est immédiatement alourdie et la tension est devenue palpable. Cet homme a une façon de faire ressortir le pire chez les gens qui est assez impressionnante. Les garçons ont instinctivement bandé leurs muscles, et les filles auraient montré les crocs si elles se trouvaient sous forme lupine. J'ai lancé un regard à Florian, installé en face de moi, et lui ai fait un signe de tête entendu avant de me lever.

— Bon, merci pour le repas, on y va.

Le jeune chasseur se lève à son tour sans rien ajouter. La présence de l'Alpha n'incite pas à parler ; si ce n'est pour se défendre suite à un reproche infondé de cet incroyable paresseux.

— Où en sont nos provisions pour cet hiver ? Demande-t-il alors que je passe devant lui.

Je relève la tête, surprise, mais c'est Florian qui répond.

— On ne crèvera pas de faim, pas d'inquiétude, souffle-t-il.

— J'attends une réponse précise, s'agace Julien.

— Ça va Julien, c'est bon ! On s'en occupe. Mais garde à l'esprit que nous ne sommes que deux, je réplique.

— Oui et puis, je ne suis pas encore super expérimenté, ajoute Florian.

Je lui lance un coup d'œil et souris tendrement. Si j'avais pu l'avoir comme frère, ç'aurait été avec plaisir... Mais je crois que tout le monde tente déjà de le protéger, et il ne faudrait pas que ça en devienne étouffant.

J'allais me tourner à nouveau vers l'Alpha lorsque je suis stoppée net dans mon élan, et ma tête est éjectée de l'autre côté. Je fais un pas en arrière sous le coup du choc imprévu, et porte une main à ma joue. Du bout des doigts, je sens ma peau brûlante, et touche quelque chose de visqueux : un peu de sang. Je fronce les sourcils et plante mon regard dans le sien, furieuse ; mais il ne me laisse même pas le temps de protester.

— C'est toi qui gères la chasse. Tu dois savoir exactement où en sont nos provisions, et former les néophytes, gronde-t-il en toisant Florian.

— Mais je...

— La prochaine fois, tu as intérêt à m'apporter une réponse précise ! crie-t-il.

Nous nous toisons quelques instants, sous les regards interrogateurs des autres loups – vont-ils se jeter l'un sur l'autre et s'entretuer ? Mais Julien s'approche et attrape mon poignet, tout en se penchant vers moi pour murmurer :

— Rappelles-toi quelle est ta place.

Cet Alpha n'inspire pas le respect, mais la crainte ou la haine. Il me relâche brusquement et je me mords profondément la lèvre inférieure. Touché. Il est le seul à savoir et s'en sers contre moi...

— Julien, ça suffit. Laisse-les partir chasser. Et ne mêle pas à Florian à tes problèmes existentiels avec Jessica, grogne Hayden en se levant.

Du coin de l'œil, je remarque Nadya, près de lui, qui pose une main apaisante sur son bras. Inutile d'envenimer les choses. Je lance un dernier regard de défi à Julien, m'empare de ma veste et fais signe au chasseur.

— On y va, assénais-je avec colère.

— Attendez, je viens aussi, l'ambiance est devenue trop pourrie ici ! s'exclame Simon.

Je ne les attends pas, et me précipite à l'extérieur. Une fois dehors et éloignée du chalet, enfin sous le couvert des arbres, j'inspire profondément. Aëlys, où es-tu ? J'ai besoin de toi.