Chapitre 2

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C'est Fred qui cuisine ce soir. Comme tous les soirs finalement. Il m'a dit un jour que ça lui vidait la tête : je n'allais pas le priver de ça !

Du coup je suis allongée sur le canapé du salon, bien calée contre un coussin, un verre de vin à portée de main, à relire le manuscrit du petit génie. Je surligne à la recherche d'incohérences ou de faiblesses dans le récit - que je ne trouve pas - tandis qu'une partie de moi commence déjà à s'exciter sur les extraits qu'on va pouvoir envoyer à la presse.

Fred me rejoint avec deux assiettes fumantes, qu'il pose directement sur la table basse. Je sors deux coussins plats de sous le canapé, et on s'assied à même le tapis.

- Qu'est-ce qui me vaut l'honneur de ma fiancée en jogging ? plaisante Fred, en se servant un verre de vin.

Je proteste.

- Ce n'est pas un jogging, c'est un pantalon d'intérieur moelleux et élastique, signé d'un petit créateur américain dont le nom est emprunté à une déesse grecque.

Il lève les yeux au ciel devant ma mauvaise foi, et m'assène son reproche préféré.

- Tu me tiens pour acquis !

J'affecte une petite moue exagérément câline.

- Canard, j'ai eu une journée de merde. J'ai bien le droit de ne pas être tous les jours la sublime créature sexy dont tu es tombé amoureux...

- Un soir où j'étais ivre, si tu te souviens bien.

Je lui tire la langue avant de me pencher sur le sauté de veau, dont les arômes affolent mes papilles.

- Miam ! Même si on divorce un jour, je continuerai à venir manger chez toi !

Il ricane, en attaquant son assiette.

- C'est ma nouvelle femme qui va être contente.

Mon téléphone sonne et j'ai horreur quand il fait ça en plein repas. Je suis tentée d'ignorer, surtout que c'est un numéro inconnu, mais je réponds parce que c'est un numéro inconnu.

- Madame Deloup Alix ?

- C'est moi, oui...

L'intonation est sévère, professionnelle, avec un léger arrière-plan rocailleux.

- Commissariat central du dix-huitième arrondissement...

Je fronce les sourcils, intriguée.

- Heu... Oui ?

L'interlocuteur enchaine, avec sa voix d'adjudant moustachu.

- Vous connaissez Paul-Artus Stevenson ?

Paul... Artus ? Je sens instinctivement que je vais regretter d'avoir pris cet appel.

- Oui...

- Il dit que c'est vous qui vous occupez de lui. Vous êtes un membre de sa famille ? Une tutrice ?

- Ben... heu... non... pas exactement... mais...

Je décide de couper court aux explications, avant que mes hésitations ne me disqualifient pour la suite.

- Qu'est-ce qu'il se passe au juste ? Je peux vous aider ?

Là-dessus, le représentant de l'autorité se lance dans un long rapport, sur ce ton de formulaire que prennent toujours les policiers quand ils décrivent une situation compliquée. Je reconnais les mots : arrestation, bagarre, drogue et insulte à agent.

Je suis brièvement tentée de raccrocher. Je suis en jogging, presque un pyjama. J'ai un sauté de veau chaud qui m'attend, et un amoureux qui l'est tout autant. Il est vingt et une heures. Courir à travers les rues noires ne faisait pas partie du programme de la soirée.

Il faudra beaucoup m'aimer (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant