Chapitre 16

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Dürer nous dépose au pied de l'immeuble d'Artus et je le suis jusqu'à son appartement. Il ne va pas échapper à une petite explication.

- Artus tu sais qu'un éditeur, c'est comme un avocat ?

Il attend que je précise tout en balançant ses baskets à l'autre bout du salon.

Je m'explique :

- Tu peux tout me dire : je ne juge pas, je ne dénonce pas, et je ne répète rien !

Il m'examine, amusé.

- D'accord Maitre, j'avoue tout : j'ai volé la Joconde et je l'ai remplacée par un dessin à moi. Mais personne ne s'en est rendu compte parce que tout le monde fait des selfies en lui tournant le dos !

Blague, blague, mon ami : je ne vais pas te laisser t'en tirer à si bon compte.

- Je parlais plutôt de l'étonnante volte-face de ton père.

- Ah ça ? C'est parce que je suis son fils préféré !

Je secoue la tête d'un air dubitatif.

- Vu le peu que je sais du personnage, je ne pense pas que ce soit le genre de détail qui l'arrête.

Il rigole franchement.

- Très juste ! Bon... disons que je suis son fils le plus malin !

Il affiche le sourire mystérieux de quelqu'un qui en sait plus long qu'il n'en dira et susurre en mimant une explosion autour de son crâne.

- Braaaiiiin !

Je sais qu'Artus a toujours quinze coups d'avance et il faut bien reconnaitre que ses arguments ont fait mouche tout à l'heure.

- Tu as un moyen de...

- De ?

Ce ton innocent ! Il m'agace quand il fait celui qui n'a pas compris où je voulais en venir, m'obligeant à mettre les points sur les i, ce que je fais un peu sèchement.

- De nous éviter ce genre de désagrément à l'avenir, Artus !

Il se rapproche de moi et m'attrape les épaules à deux mains, d'un geste étonnamment intime et protecteur.

- Mon éditrice préférée... Je ne peux pas t'assurer que d'autres ne se reconnaitront pas dans le livre. Mais je peux te garantir que personne ne prendra le risque d'un procès.

Je me détache lentement tout en m'efforçant de soutenir son regard.

- Parce que les trois cent quarante-trois raisons de mourir...

Il laisse échapper un rire sans joie.

- Je te remercie de croire en mon imagination débordante, mais franchement : j'aurais pas trouvé tout ça sans un peu d'aide !

La foudre tombe à mes pieds.

- Attends, mais c'est... mais tu...

Il m'examine avec indulgence, me laissant paniquer un moment rien que pour le plaisir de me voir bafouiller.

- Relax ! C'est bien moi qui ai tout écrit : c'est mon livre et ce sont mes idées. Mais inventer trois cent quarante-trois causes de décès... Ha ha ! Après l'explosion d'une bouteille de coke par abus de mentos, j'étais déjà à sec !

Je le contemple, abasourdie. Le roman est tellement haletant qu'on ne s'aperçoit pas au premier abord à quel point il est documenté. Mais en y réfléchissant bien, la puissance de l'intrigue repose en partie sur le fait que chaque mort y est rigoureusement vraisemblable et résonne, irrémédiablement, comme l'annonce de nos propres fins.

Il faudra beaucoup m'aimer (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant