Chapitre 5

893 128 8
                                    

- Il dit qu'il ne s'est pas réveillé, m'annonce Manon, la main sur le combiné.

Je la regarde choquée, tandis ma mâchoire inférieure tombe avec fracas sur mon bureau.

- Il est sérieux là ?

Une séance photo avec Annie, c'est plusieurs semaines de préparation et un nombre incroyable de ficelles à tirer, un studio et une équipe complète sur le pied de guerre, et une star de l'objectif dont j'entends encore les hurlements sanglants dans mon oreille droite.

Et il ne s'est pas réveillé ?

- Il sait à qui il a posé un lapin ? Elle a photographié Springsteen, Mick Jagger... et des présidents de la République !

- Il dit que c'est la faute de son oreiller...

Au concours des excuses pitoyables, je crois qu'on tient un vainqueur. Manon continue, en secouant la tête d'un air consternée.

- Il dit qu'il a un oreiller trop moelleux ; il n'arrive pas à sortir la tête le matin...

Elle ricane nerveusement avant de me retranscrire l'intégralité de l'explication.

- Il dit que les plumes d'oie ont un pouvoir gonflant exceptionnel...

Je la regarde abasourdie, mais elle hausse les épaules en signe d'impuissance en me montrant son téléphone. Autant d'insouciance, ça me rend folle.

- Dis-lui que c'est lui qui a un pouvoir gonflant exceptionnel !

Manon n'a pas besoin de transmettre car je pense que mes vociférations doivent s'entendre à l'autre bout de la ville. Elle finit par raccrocher après un dernier échange que je ne prends même pas la peine d'écouter.

J'inspire profondément plusieurs fois, puis je me redresse, un sourire un peu crispé sur le visage.

- Allez, je t'offre un café, on en a besoin...

Je refais mon chignon d'une main nerveuse, comme chaque fois que j'ai besoin d'asseoir mon autorité.

*****

Je m'efforce de me calmer le temps de descendre les trois étages de l'hôtel particulier jusqu'à l'ancien salon mouluré qui fait office de cafétéria. Les murs sont ornés de fresques du dix-septième et les hautes fenêtres ouvrent sur une charmante petite cour intérieure. Le distributeur de boissons qui trône au milieu du panneau est franchement incongru.

- La machine ! grommelle Manon en se dirigeant vers l'automate. Je pensais qu'on allait au moins au troquet d'en face !

- On fait une pause dans une dure journée de boulot, Manon, pas une sortie entre copines !

Elle me regarde, en esquissant un sourire hésitant.

- Il nous en a fait voir de toutes les couleurs... mais je ne m'attendais pas à celle-là !

- Tu lui as bien rappelé le rendez-vous ? je demande, par acquis de conscience.

Elle se récrie aussitôt, indignée qu'on puisse mettre son professionnalisme en cause.

- Trois fois hier ! C'était pas à moi à le sortir du lit, quand même !

- Comment on peut être aussi... aussi...

Elle soupire et répond sans que j'ai même besoin de finir ma phrase.

- Faudrait pas le lâcher d'une minute, c'est un gosse !

Nos airs dépités respectifs finissent par nous faire marrer et je secoue la tête avec résignation.

- Tu t'y connais un peu en vaudou ? J'envisage sérieusement de fabriquer une poupée à son effigie.

Il faudra beaucoup m'aimer (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant