Chapitre 6

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- Dimitri ?

Un photographe faux-russe, vrai-français - à moins que ce ne soit l'inverse - ça a toujours quelque chose d'un peu spectaculaire. Comme d'habitude, il en rajoute des tonnes en m'accueillant avec un baisemain très grand-siècle.

- Mais qu'est-ce qu'on a là ?

Le regard acéré de l'artiste se fige comme un chien truffier en découvrant Artus, qui me suit avec nonchalance.

Dimitri reprend instantanément son absurde accent russe, avant d'ajouter à mon intention.

- Je crrroyais te rendre service petit chat, mais peut-êtrrre c'est moi qui vais te rrremercier !

Il se dirige vers Artus et l'examine ostensiblement de haut en bas. L'autre lui rend la pareille d'un air ennuyé. Un silence bizarre s'installe, qu'aucun des deux ne songe à rompre, et c'est moi qui fais rapidement les présentations.

- Dimitri... Artus.

Artus regarde déjà ailleurs tandis que Dimitri se caresse le menton avec un air gourmand.

- Artus ! Dimitri nous fait une fleur en acceptant de réaliser la photo au pied-levé. Alors, sois sympa s'il te plait !

Comme à son habitude, le petit génie m'écoute à peine. Il fait quelques pas dans le vaste studio où l'équipe s'affaire à installer le matériel et le décor, sans se soucier des regards qu'on lui jette en douce.

Une grande toile blanche fait office de plateau, et les assistants ont déposé à différents endroits des piles de bouquins assez hautes, mêlant livres de poche et vieux ouvrages reliés, dans un mélange baroque assez étonnant. Je me dis qu'il n'y a que Dimitri pour imaginer ce genre de mise en scène. Son univers fantastique et exubérant a fait sa réputation.

Une jeune femme s'approche de nous, tirant derrière elle un portant à roulettes où s'entrechoquent des cintres offrant un large assortiment de tenues.

Artus se tourne vers moi, en découvrant certains habits pour le moins chamarrés. J'entends dans sa voix profonde le grondement qui menace.

- Je m'habille comment ?

Je regarde Dimitri d'un inquietude. Je connais son univers : il est capable d'avoir prévu un costume de prince avec un jabot en dentelles et des plumes de paon. J'entrevois une discussion compliquée. Mais Dimitri répond à ma place, en déshabillant son modèle du regard.

- Dieu fait grrrâce, comme on dit chez nous. Quand on a ce visage, pourquoi en rajouter ?

Il se tourne vers l'habilleuse qui attend les consignes.

- Naturel...

Artus se laisse entrainer par la jeune femme tandis que Dimitri se tourne vers moi, ravi de son nouveau jouet.

- Et bien... tu ne m'avais pas dit ça !

Je hausse les épaules. Je connais son goût pour les beaux garçons mais c'est surtout son talent pour les sublimer qui m'intéresse. J'essaye de détourner la conversation en montrant le décor et les piles de livres poétiquement dispersées sur le fond blanc.

- C'est Alice au pays des merveilles, ton truc...

Il m'examine d'un air malin, tandis que son regard glisse de moi à mon protégé en train de se déshabiller dans un coin du studio.

- Dis plutôt Alix au pays des merveilles !

- Très drôle. C'est un auteur, tu sais, pas un plan cul !

- Ha ha ! Tu dis des horreurs...

Dimitri s'esclaffe sans retenue. Je sais qu'il adore quand les filles se permettent un langage un peu cru, et c'est ma façon de le remercier.

Il faudra beaucoup m'aimer (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant