Chapitre 20

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D'habitude je ne parle pas aux inconnus mais celui-ci s'est approché bien poliment de la table que j'occupe dans ce café proche du bureau où j'ai mes habitudes chaque matin, et il m'a demandé si je pouvais lui accorder quelques minutes pour un sujet de la plus haute importance. Il n'a pas l'air de l'habituel dragueur, plutôt d'un fonctionnaire zélé qui accomplirait ce pour quoi il est payé.

J'avale une gorgée de café avant de lui faire signe de s'asseoir. Quelque chose dans son allure, dans son ton, me donnent un terrible pressentiment.

Il prend place en face de moi mais ne pas fait mine de commander quoi que ce soit. Il attend juste un instant que je soutienne son regard avec plus d'attention. Et il laisse cette attention se transformer en curiosité, puis en inquiétude.

A ce moment seulement, il sort son téléphone en soupirant et le pose sur la table en le tournant vers moi.

- Ce n'est jamais un moment agréable, vous savez...

Il déverrouille l'appareil et lance une vidéo qui prend tout l'écran. C'est un plan fixe de la chambre d'Artus, à Autun. On l'y voit distinctement et on me reconnait bien aussi. Le son est coupé et heureusement, car si ce n'était pas le cas, le café tout entier se serait déjà retourné dans ma direction.

Je deviens blême.

- C'est quoi ce mauvais roman ?

Il sourit d'un air entendu.

- C'est vrai que vous êtes éditrice...

- D'où est-ce que..., je m'exclame attirant quelques regards sur notre table.

Je reprends, sur un ton plus confidentiel.

- D'où est-ce que vous sortez ces images ?

- D'une caméra opportunément placée au bon endroit, au bon moment, me répond-il sans ajouter de détail. C'est très discret vous savez... la miniaturisation !

Je jette un œil à l'écran sur le film qui défile, au moment même où l'attitude d'Artus ne laisse aucun doute sur ses intentions. J'appuie avec affolement sur tous les boutons du smartphone dans le vain espoir de faire cesser ce cauchemar.

Il se penche vers moi avec patience et presse une touche sur le côté de l'appareil.

- C'est ici pour arrêter le film...

Avant d'ajouter sur un ton toujours courtois mais qui me parait étrangement menaçant.

-... mais pour l'effacer, c'est un peu plus compliqué.

Je ne peux m'empêcher de me frotter les yeux comme si ça pouvait suffire à faire disparaitre mon interlocuteur ou à me réveiller de ce mauvais rêve. Mais on est toujours le mardi 12 juillet, à neuf heures, dans ce café proche du bureau, et ma vie vient de se transformer en cauchemar.

- Je sais exactement tout ce qui se passe dans votre tête : « qu'est-ce qui m'arrive », « on se croirait dans un film », « quelqu'un me fait une blague », « ça n'arrive pas aux gens normaux »...

Il s'interrompt un court instant avant de soupirer.

- Nous gagnerions beaucoup de temps vous et moi si vous sautiez directement à la seule conclusion.

- Quelle conclusion ?

Encore la voix onctueuse :

- Un concours de circonstance vous place dans une situation extraordinaire. Il ne tient qu'à vous de revenir à votre vie normale.

J'essaye de contre-attaquer, avec une candeur presque risible.

- Vous êtes qui, exactement ?

- Ce que je suis n'a aucune importance. Vous, en revanche, vous vous nommez Alix Deloup, 28 ans, née à Angers, profession : éditrice, vous habitez 23 rue de la Rochefoucauld dans le neuvième arrondissement, où vous vivez en concubinage avec un monsieur... qui n'est pas celui de la vidéo.

Il faudra beaucoup m'aimer (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant