Chapitre 9

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Aucun retour des avocats de Total. En attendant, j'ai beau le relire page à page, tenter de deviner un sens caché derrière les métaphores, ce manuscrit me parait inattaquable.

Trois cent quarante-trois raisons de mourir est un roman choral, à propos de gens qui se croisent, s'aiment et meurent dans des catastrophes naturelles un peu partout dans le monde. Artus possède une écriture rare, souvent crue, d'une poésie inouïe, sublimée par la violence avec laquelle il précipite chacun de ses personnages vers son destin inéluctable.

C'est un écrivain, un vrai. S'il parvient à dompter ce talent brut, il sera l'un des meilleurs de sa génération.

Mais je ne vois rien dans ces pages qui puisse menacer, ni le groupe Total en tant qu'entreprise, ni son patron en tant que père.

Artus, lui, se contente de bougonner un très constructif :

- On s'en fout, c'est des cons !

Et quand j'ose enfin lui demander avec qui il dinait l'autre soir au restaurant, il commence par froncer les sourcils... avant de capituler avec un regard qui ressemble à de l'admiration.

- Tu lâches jamais le morceau, toi, hein ?

Et puis il m'assène d'un ton joueur cette phrase, absurde dans la bouche d'un gamin de dix-huit ans.

- J'aime bien ça, chez une femme !

Avant de me planter là et de se barrer tranquillement, les mains dans les poches, avec un petit sourire insolent.

Le temps que je sorte à mon tour de la salle de réunion, il est déjà à l'ascenseur. Il y a longtemps que j'ai renoncé à le poursuivre dans les escaliers, alors je me contente de le héler à travers le couloir.

- Artus ! On n'a pas terminé !

Même le directeur financier qui passe à ce moment-là ne prend plus la peine de se retourner : notre petit numéro est devenu un gag récurrent au troisième étage.

Artus consulte sa montre et me répond de manière évasive.

- On finit demain... J'ai des plans là...

- Je te rappelle que tu as le direct sur Inter demain. En matinale !

- T'inquiète !

Aucune chance que cette réponse dilatoire puisse me rassurer.

- Tu ne me fais pas le coup de l'oreiller moelleux, hein ?

Un clin d'œil appuyé en retour.

- Y'a qu'un moyen de t'en assurer...

Puis il ajoute, comme si c'était acquis.

- Pense à amener les croissants !

L'ascenseur sonne l'ouverture des portes et, pendant un court instant, je fantasme qu'elles vont se refermer violemment sur lui juste au moment où il entrera dans la cabine, histoire de lui remettre les idées en place.

Dürer, que nos apostrophes ont quand même fait surgir de sa tanière, nous contemple d'un air dubitatif.

- Ça se passe bien ?

Heureusement, Manon passe une tête au même moment.

- Alix, téléphone ! C'est Dimitri !

Je lui fais signe que j'arrive, tout en adressant un sourire rassurant à mon patron.

- On ne va peut-être pas partir en vacances ensemble... Mais ça s'améliore !

Avant de courir vers mon bureau pour prendre l'appel.

Il faudra beaucoup m'aimer (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant