Chapitre 8

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Quand j'arrive au bureau ce matin-là, Manon et Zoé sont en train de déployer sur un mur de l'accueil un grand poster d'Artus, au milieu de sa forêt de livres.

- Heu, je ne suis pas certaine que la touche de déco personnelle soit autorisée par la direction...

Elles se récrient dans un bel ensemble.

- C'est un auteur maison ! On est tout ce qu'il y a de corporate !

- D'ailleurs, tu pourras m'en trouver un autre pour chez moi ? demande Zoé, à mi-voix.

Ma stagiaire confirme avec l'assurance de celle qui a déjà bien étudié la question.

- J'attends les formats Abribus. C'est quasi grandeur-nature !

Je secoue la tête, dépitée.

- Non mais sérieux, les filles. C'est un écrivain, pas un chanteur pop !

Manon ouvre des grands yeux indignés et professionnels.

- Tu te fais des idées, Alix ! C'est justement ce qui nous intéresse : sa plume, sa sensibilité d'auteur...

Zoé rebondit, sur le ton expert de celle qui a dû scanner et relier des dizaines de dossiers de presse.

- Personnellement, je trouve qu'il y a dans sa forme littéraire merveilleusement spontanée, un dégagement des sens et des objets qui a tout d'une ascèse...

Manon ne peut s'empêcher de ricaner en admirant le poster.

- Et on voit tout de suite qu'il est en très grande forme littéraire !

Je lève les yeux au ciel en cherchant du secours autour de moi.

- Je crois que j'ai vraiment besoin d'un café...

Les deux chipies éclatent d'un même rire communicatif.

- Alors il vient ce matin ? C'est confirmé ?

- Pas de lapin cette fois-ci ?

Je calme leurs ardeurs car je sais que la réunion va être tendue, après dix jours de silence radio inacceptables.

- Il vient et je compte lui remettre deux ou trois idées en place. Alors... profil bas, hein !

Zoé retrouve un semblant de conscience professionnelle, et pianote sur son clavier.

- Je te mets en Modiano ?

- Non j'ai déjà réservé la Yourcenar...

L'hôtel particulier qui nous abrite a conservé un petit salon par étage, plus intime qu'une salle de réunion, avec fauteuils capitonnés et cheminée en marbre. C'est là qu'on boit le champagne pour les contrats importants, mais c'est aussi le lieu des crises et des engueulades : les autres salles de réunion ont des parois vitrées qui manquent un peu de discrétion.

Connaissant mes deux loustics, je rappelle lourdement les consignes, en martelant du doigt le comptoir de l'accueil.

- On s'est bien comprises, hein ? Pas de petite blague quand il débarque ! Je veux l'avoir face à moi, sur le canapé, les yeux dans les yeux...

- Ouuuh... font les filles dans un concert parfaitement simultané.

- Sur le canapé, approuve Manon, rêveuse.

- Les yeux dans les yeux, renchérit Zoé d'une voix faussement éperdue.

Les hormones. Je ne peux pas lutter.

- Bon, Manon, quand tu auras récupéré toutes tes neurones, n'hésite pas à passer voir au troisième si il n'y aurait pas du boulot ! Et arrêtez de vous monter le bourrichon, les filles !

Il faudra beaucoup m'aimer (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant