- Rien, je l'ai sorti de là, c'est tout. On s'est quittés sur le parvis. Il est rentré chez lui... ou au diable, qu'est-ce que j'en sais ?
Manon a l'air déçue. Ma stagiaire s'intéresse beaucoup au petit génie depuis qu'elle m'a vu le pourchasser à travers les couloirs. Et je crois qu'elle me serait reconnaissante, même si j'inventais des détails à la scène.
- Mais il est comment ?
Je décide de briser ses rêves naissants.
- Un petit con.
Elle soupire, un peu frustrée par mon manque de coopération.
- Zoé, à l'accueil, a une autre version.
Je les imagine bien toutes les deux, en train de se monter la tête au-dessus de leur salade, à la pause déj.
- On est dans la vraie vie, Manon ! Les petits cons, ça ne se transforme pas en prince charmant au dix-neuvième chapitre !
Ma stagiaire renâcle un peu, choquée par ce qui lui semble être une injure à notre glorieux métier d'éditeur, et sa future carrière.
Elle essaye quand même de me relancer, prête à glaner les plus infimes détails pour satisfaire sa curiosité.
- Il t'a remerciée au moins ?
- Bien sûr ! Il s'est confondu en excuses et il va m'envoyer des fleurs. Et puis on doit aller faire du shopping ensemble, parce que j'ai besoin d'une jupe et il a vachement l'œil pour ça !
Manon hausse les épaules en soupirant ostensiblement : je crois qu'elle a compris qu'elle ne pourrait rien tirer de moi.
Elle se résigne et retourne à son bureau, juste en face du mien.
- Alors le contrat j'en fais quoi du coup ? Je lui envoie par mail ?
- Jamais ! Tu me le reconvoques pour qu'il vienne le signer ici. Le temps de me procurer la clé de la salle de réunion : cette fois-ci, on bloque toutes les issues...
Elle s'amuse de mon plan d'attaque.
- Je me charge de désactiver les ascenseurs de l'étage. Personne n'a envie de te voir galoper sur des Jimmy Choo.
Je ricane en repensant à la scène.
- Il serait capable de sauter par la fenêtre !
- Du troisième étage ?
Je ne peux m'empêcher de fixer les hautes vitres moulurées avec un léger frisson. Manon s'esclaffe et me rassure.
- T'inquiète, je prends aussi le fusil avec les fléchettes tranquillisantes. On fera comme pour les grands fauves !
- Prend plutôt une batte de baseball : on va le frapper jusqu'à ce qu'il signe !
Elle éclate d'un rire clair, qui illumine toute la pièce.
- Celle que tu as utilisé quand Guillaume a voulu renégocier son à-valoir ?
Je lève les yeux au ciel, au souvenir de la négociation un peu intense avec un de nos auteurs vedettes... qui se prend pour un auteur vedette.
- Guillaume... J'ai failli lui balancer son dernier bouquin à la tête ! Quoique vu le nombre de pages, ça ne lui aurait pas fait grand mal !
Manon approuve chaleureusement, tout en cherchant dans les dossiers les coordonnées d'Artus Stevenson. J'espère qu'il ne va pas gâcher cette deuxième chance.
*****
Cette fois-ci, j'ai envoyé Manon à l'accueil chercher le chérubin. C'est une façon de remettre les choses dans le bon ordre. Je suis la chef. L'auteur n'est qu'un mal nécessaire du monde de l'édition. Un peu comme la puce dans un smartphone, ou l'uranium enrichi dans une centrale nucléaire. Et encore, enrichi, c'est si on le veut bien.
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Il faudra beaucoup m'aimer (Terminé)
RomanceAlix a 28 ans, un fiancé adorable, une vie parisienne assez cool, et un métier passionnant dans l'édition. Tout va pour le mieux jusqu'à ce qu'on lui demande de gérer le premier roman d'un jeune prodige de dix-huit ans. Sauf que le petit génie n'a a...