J'ai joué, j'ai perdu.
Ma parenthèse enchantée ne m'a pas protégée des réalités de la vie.
Et je ne parle même pas de retrouver les bâtards qui m'ont filmée, piégée, frappée à l'estomac. Je me contenterais pour le moment de seulement comprendre ce qui se passe. Découvrir quelles forces obscures le roman d'Artus a déchainées, quelles provocations se cachent derrière ces pages où je n'ai vu que littérature là où d'autres semblent percevoir une étrange menace.
Mon inquiétant maitre-chanteur avait raison sur un point : je suis une personne ordinaire, plongée dans un maelstrom de circonstances qui m'échappent totalement. Mais l'irruption du roman d'espionnage dans ma vie a percuté de plein fouet les deux choses que je chérissais le plus : ma passion de ce métier ; mon amour pour Fred.
Que je doive mettre en balance l'un avec l'autre - l'un contre l'autre - me parait une abomination sans nom.
Lorsque l'homme à la vidéo m'a quittée ce matin, je me suis levée comme une automate et j'ai marché sans boussole à travers les rues parisiennes.
L'arrondissement n'est pas très grand. Rue Mazarine, je croyais que ma vie était finie. Rue de Seine, je me suis rappelé qu'il y a des moments dans l'existence qui décident de l'idée entière qu'on se fait de son caractère. Boulevard Saint-Germain, j'avais la conviction qu'empêcher la parution d'un grand livre serait renier tout ce à quoi je croyais. Devant le théâtre de l'Odéon, j'avais décidé de ne pas me laisser piétiner sans réagir. Rue Rotrou, j'ai compris que je ne pourrais pas cacher la vérité à Fred. Quand je suis arrivé aux jardins du Luxembourg, je savais ce qu'il me restait à faire.
Et puis je suis restée prostrée sur un banc pendant des heures. Parce qu'entre être certaine de ce qu'il faut faire et le mettre à exécution, il y a un fossé qu'il faut beaucoup de courage pour combler. Et je sentais bien que ce courage-là me manquait.
Merde. Je sais que je vais lui faire du mal.
*****
Quand Fred rentre du lycée et me trouve en train de faire ma valise, il comprend instantanément. A la façon dont je le regarde, ou plutôt dont je ne le regarde pas. Je vois son large sourire se figer imperceptiblement et une balise de détresse s'allumer dans ses prunelles candides.
Il tente une petite blague, incrédule, et l'espoir que j'entends dans sa voix me percute le cœur.
- Qu'est ce qui se passe ? On part en week-end ?
- C'est moi qui part.
- Ah.
Un silence de crypte, avant qu'il ne reprenne.
- Il y a quelque chose que je devrais savoir ?
Je m'efforce de soutenir son regard, même si il peut lire dans le mien toute ma culpabilité.
- Je pense qu'on devrait s'asseoir.
Je n'ai jamais détesté notre salon comme à ce moment. Cette pièce chaleureuse s'est transformée en parloir de prison quand j'ai pris place sur le canapé tandis qu'il s'asseyait sur un fauteuil loin de moi, tous les deux empruntés, conscients de jouer une pièce à laquelle nous n'étions pas préparés.
Fred et moi, ça devait durer pour la vie.
Quand je l'ai rencontré, nous avions dix-sept ans. Il a été mon seul et unique amour. J'étais révoltée, mal dans ma peau, en guerre contre le monde entier. Et il m'a donné tranquillement, sans jamais me faire la leçon ni me prendre de haut, l'exemple de ce qu'un être humain devrait être. Quelqu'un de bien.
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Il faudra beaucoup m'aimer (Terminé)
RomanceAlix a 28 ans, un fiancé adorable, une vie parisienne assez cool, et un métier passionnant dans l'édition. Tout va pour le mieux jusqu'à ce qu'on lui demande de gérer le premier roman d'un jeune prodige de dix-huit ans. Sauf que le petit génie n'a a...