Artus remet une bûche dans la cheminée tandis que je lui tends une assiette omelette-riz, accompagnée d'une belle tranche de jambon de montagne.
- Tiens, c'est pour que tu reprennes des forces, j'annonce sur un ton coquin qui le fait rire.
Le fracas de la tempête au-dehors ne semble pas lui couper l'appétit, et quand je le vois entamer son plat à belles dents, j'avoue que cela me donne envie de l'imiter. Pendant quelques minutes, on n'entend que le bruit de nos couverts sur l'assiette et du bois humide qui craque dans le foyer.
- Ici, on ne risque rien, finit-il par dire, sur un ton confiant.
J'aimerais le croire.
J'ai dû allumer les lumières bien qu'on soit en début d'après-midi, car la pièce est plongée dans un noir impressionnant. La tempête a encore forci. Et les vieux radiateurs électriques peinent à sécher nos vêtements que l'air ambiant suffit presque à détremper.
Artus a déniché dans le grenier un antique poste de radio qui a appartenu à mon grand-père, et dont je me dis que c'est un miracle s'il fonctionne encore. Mais le petit génie a une patience étonnante pour ce genre de chose et il a occupé une bonne demi-heure à dépoussiérer soigneusement l'appareil, avant d'y mettre des piles neuves et de vérifier chaque réglage. Il est récompensé par une sorte de grésillement continu et vide, qui résonne de façon presque sinistre dans la solitude du chalet. Il ne se décourage pas et joue alternativement de l'antenne et du sélecteur pour parcourir toute la gamme des ondes. Le crachouillis se brouille et se déforme sans qu'on ne capte aucune voix.
Et puis soudain :
-... enchainement grave... disparus... fermeture des centrales... Golfech et Tricastin...
Le reste se perd dans les crissements et les grondements chaotiques du vieil appareil. Artus fronce les sourcils et commence à donner des grandes tapes dans le poste comme si ça pouvait l'aider à retrouver les ondes. Puis il me regarde d'un air faussement tragique.
- On dirait bien que c'est la fin du monde !
- Hé ! je proteste. Tu m'avais dit qu'on avait encore des années devant nous !
On continue à échanger des plaisanteries qui nous font du bien. Ce n'est sans doute pas la fin du monde mais j'aimerais bien qu'on ait quelques nouvelles de l'extérieur, pour se rassurer. Ce sentiment d'être isolé de tout, sans aucune maitrise sur les événement, c'est ça le plus stressant.
- Faudrait que je tente une deuxième sortie, propose Artus. Peut-être chez le père Grange pour voir si sa télé fonctionne encore.
Je jette un coup d'œil au dehors. Le temps s'est nettement durci depuis ce matin. Ça tonne et ça claque, et on a entendu tout à l'heure un arbre tomber dans un fracas épouvantable.
- Je ne suis pas certaine que sortir soit la meilleure idée, en ce moment.
- On doit aussi s'assurer que les voisins n'ont pas besoin d'assistance, réplique-t-il.
- On a surtout besoin de rester à l'abri. Et de laisser faire les professionnels sans jouer aux héros.
Il secoue la tête, d'un air sceptique.
- Je pense que la vallée est coupée Alix. Personne ne monte, personne ne descend. On n'est pas près de voir un pompier.
Avant d'ajouter.
- Tu crois que les héros, c'est juste quand tout va bien ?
Il a raison, mais je m'insurge à l'idée qu'on prenne des risques inutiles.

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Il faudra beaucoup m'aimer (Terminé)
RomanceAlix a 28 ans, un fiancé adorable, une vie parisienne assez cool, et un métier passionnant dans l'édition. Tout va pour le mieux jusqu'à ce qu'on lui demande de gérer le premier roman d'un jeune prodige de dix-huit ans. Sauf que le petit génie n'a a...