Chapitre 14

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- Paul-Artus Stevenson, bonjour. Vous êtes l'auteur dont tout le monde parlera dans quelques semaines et vous être notre invité... en Avant-Première.

Générique.

Collée à la vitre du studio de la Maison de la Radio, j'observe Artus avec attention. Il a l'air d'avoir passé une nuit courte, mais au moins il a pris une douche avant de venir. Et bien qu'à demi affalé sur le fauteuil de l'invité, il parait calme et concentré, le casque sur les oreilles, le micro à portée de voix. L'émission est un passage obligé, le rendez-vous à ne surtout pas saborder. Avec son concept consistant à identifier avant tout le monde, les sujets et les personnes qui feront l'actualité des mois à venir, Daphné Eisa a fait de sa petite interview matinale un moment très suivi. Il faut dire qu'elle a du flair et se trompe rarement dans ses choix de programmation. Je lui ai adressé le manuscrit à peine corrigé ; elle fait comme moi le pari qu'Artus sera la sensation de la prochaine rentrée littéraire.

- Il est difficile de raconter l'intrigue du livre, tellement le récit est foisonnant. Comment vous résumeriez Trois cent quarante-trois raisons de mourir ?

- Bah... tout est dans le titre, non ?

L'animatrice semble un peu déstabilisée par la réponse courte. Mais elle enchaine, très pro.

- On pourrait dire que c'est un roman choral, des personnages qui traversent l'époque et qui vont croiser et quelquefois subir, des catastrophes naturelles, des accidents... trois cent quarante-trois façons différentes de perdre la vie. Il y en a bien trois cent quarante-trois d'ailleurs ?

Artus se marre et me cherche à travers le studio.

- J'espère que mon éditrice les a recomptés !

Je lui fais les gros yeux, pour l'inciter à s'impliquer davantage. Je ne sais pas s'il comprend le message car il me répond par une petite pitrerie. Comme toujours, j'ai le sentiment d'avoir lancé une pièce en l'air, et je ne sais pas si elle va retomber du bon côté.

La journaliste revient à l'intrigue.

- Le récit commence de façon intimiste, par la mort la plus naturelle qui soit : la grand-mère du narrateur meurt de vieillesse sur son lit d'hôpital. Mais les autres causes de décès sont beaucoup plus spectaculaires...

- Une seule façon de naitre. Trois cent quarante-trois de mourir !

Daphné Eisa se penche par-dessus la longue table du studio, pour mieux accrocher le regard de son invité.

- Ça parle de la fragilité de la condition humaine ?

- Ça parle surtout de notre capacité surprenante à inventer chaque jour des façons nouvelles de diminuer notre espérance de vie !

La jeune femme balaye ses notes rapidement, et en extrait une dépêche APF.

- Il y a en ce moment même, au Canada, un dôme de chaleur historique, qui a fait plusieurs centaines de victimes à ce jour. Or c'est justement un épisode que vous décrivez assez longuement dans le livre... Comment aviez-vous pu le deviner, alors que le phénomène est totalement inédit ? Vous avez une boule de cristal, Paul-Artus Stevenson ?

Artus se trouble un instant, avant de répondre sur un ton distant.

- Heu... C'est quelque chose qu'on sait tous, non ?

- Quoi ? Qu'on va mourir ?

- Non, comment ! Pas besoin d'être grand devin pour lister une à une les catastrophes qui nous pendent au nez...

- Trois cent quarante-trois, selon vous ! Pas trois cent quarante-deux... ni trois cent quarante-quatre ?

- Je pense avoir à peu près tout recensé. Mais vous avez raison, l'être humain ne manque pas d'imagination...

Il faudra beaucoup m'aimer (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant