Chapitre 13

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On quitte le périphérique après notre course folle et on parcourt quelques centaines de mètres dans le bois de Boulogne pour rejoindre La Clairière, dont le parking sous les arbres me parait un havre de paix.

Le puissant moteur ralentit et s'éteint, dans un dernier grondement.

Je dégringole de la moto la première, et je m'éloigne de quelques pas. Mes jambes cotonneuses me portent à peine tandis que mes bras encore tétanisés luttent pour retirer mon casque. Je parviens à l'arracher sans savoir comment, et je le laisse tomber sur l'herbe. Puis, dans un spasme qui vient du plus profond, je vomis au pied d'un arbre, de la bile et peut-être un reste de déjeuner.

Artus me rejoint aussitôt, et me tend froidement un mouchoir en papier.

- On s'est un peu laissé emporter, hein ? demande-t-il sans émotion apparente.

- On ? On ?

Il serre les mâchoires.

- Je.

Mais je remarque bien son expression butée sous son air innocent. Je m'essuie la bouche avec rage.

- Bon Dieu, Artus ! Je ne sais pas si tu es schizophrène ou si tu as un double maléfique, mais j'ai vraiment du mal à comprendre comment tu fonctionnes !

- Peut-être que tous les mystères ne sont pas bons à explorer, rétorque-t-il avec un regard de défi.

Je le regarde bouche bée. Ne me dis pas que...

- On aurait pu avoir un accident grave, Artus ! J'espère que ce n'était pas juste ta vengeance parce que j'ai éventé le secret de tes petits combats clandestins !

Il ne répond rien mais je sens intuitivement que je ne suis pas loin de la vérité. Consciemment ou pas, mon auteur a voulu m'envoyer un avertissement : il y a des feux brûlants dont il vaut mieux ne pas s'approcher de trop près.

Et puis, aussi vite qu'une pensée chasse l'autre, son visage fermé s'éclaire d'une grimace roublarde tandis qu'il m'examine, la tête un peu penchée.

- Wow, si ton regard pouvait tuer, je serais en train de baigner dans mon sang !

Il parodie - assez bien - un air penaud de gamin surpris en flagrant délit, qui me ferait sourire si je n'étais pas si furieuse.

- Artus : si mon regard pouvait faire quoi que ce soit, il te flanquerait surtout une bonne raclée et tu l'aurais mérité !

- Tu sais que tu fais plus peur que certains adversaires que j'ai croisé sur le ring ?

- J'ai quelques notions de self-défense, figure-toi ! Les mecs ont tous le même point faible !

Il grimace et me répond d'un air entendu :

- Comme disait ma grand-mère à son troisième mari quand il dépassait les bornes : « Chéri, n'oubliez pas que je sais où se situent vos couilles ! »

J'étouffe mon éclat de rire pour ne pas lui donner cette satisfaction. Mais je dois reconnaitre que cet idiot à l'art de me faire marrer aussi vite qu'il me met en colère. Je maugrée en secouant la tête.

- Je ne sais pas trop ce qui se passe dans ton crâne, mais va falloir envisager sérieusement un ravalement de cerveau !

- Mince, moi qui commençais à me prendre pour un génie ! réplique-t-il d'une petite voix irrésistible.

- C'est tout ton problème, ça, Artus : tu as des cases en moins... et des cases en trop !

Il s'esclaffe joyeusement... puis se dépêche d'afficher un air contrit quand il constate que je le regarde de travers. Je me rappelle avoir tenté de calmer la fureur de Manon après la bagarre sur les quais et je me retrouve dans le même état d'esprit à présent. L'impression de manipuler de la nitroglycérine emballée dans un jouet d'enfant.

Il faudra beaucoup m'aimer (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant