Je suis perchée sur le plan de travail et je regarde Fred en train de cuisiner.
J'adore ça. D'abord parce que ça l'agace : bien plantée sur le plan en bois, je lui enlève la moitié de son espace de travail. Et je l'oblige à des contorsions sans fin pour entrouvrir un placard ou attraper une spatule derrière moi.
Ça l'agace mais il aime bien, au fond. Je le vois à sa façon de se dépenser de manière théâtrale, ciselant les oignons comme si il participait à un concours culinaire, prenant l'air inspiré quand il hume un ingrédient. Et quand il répand le poivre de Sichuan d'un tour de moulin, on dirait un dieu fantasque en train de faire neiger sur une planète qui serait une côte de veau.
- Il a signé finalement ?
D'habitude, on parle assez peu de nos boulots respectifs. Mais Fred s'est pris la lumière de ma lampe de chevet dans les yeux jusqu'à trois heures du matin, depuis il se sent concerné.
- Oui, il me devait bien ça !
- Tu lui as dit ?
Je repense à la façon sobre et élégante dont Artus m'a remercié.
- Je crois qu'il le sait...
Ma réponse hésitante lui fait redresser la tête : il y lit mes sentiments partagés.
- Tu vas avoir du mal avec celui-là...
Je me secoue pour me libérer de mes appréhensions. Et j'enchaine sur un ton plus assuré.
- Oui... non... Il a l'air cool au fond.
- Je croyais que c'était un petit con ?
C'est bizarre que Fred ne lâche pas l'affaire. D'habitude, mes histoires d'écrivain le font bailler.
- Oui, mais il est cool quand même... Un petit con-cool !
- Un petit con-cool ?
- Voilà, ça le décrit assez bien...
Fred tourne sa vinaigrette d'un air songeur.
- Et moi, je suis quoi alors ?
Ha ha ! Je crois que je commence à comprendre. Je lui enserre le cou avec les bras et je lui plante un baiser gourmand, parfumé par le petit morceau de Comté que je viens juste de croquer.
- Tu es cool... et tu n'es pas petit.
Ma démonstration semble le rasséréner, et on s'embrasse longuement avant qu'il ne se détache en soupirant.
- Je te ferais bien l'amour, là, maintenant... Mais la côte de veau est prête et c'est nettement moins bon froid.
Je m'indigne.
- Tu me préfères une côte de veau ? Franchement ?
Il m'embrasse avec cette douce chaleur que j'aime tant chez lui, avant de murmurer.
- Si tu faisais les courses de temps en temps, tu saurais combien ça coute au kilo ce genre de bestiole...
Je me moque de lui.
- Quand on était étudiants, tu aurais envoyé valser tous les accessoires du plan de travail et on aurait fait l'amour, là, au milieu des oignons.
- Quand on était étudiants, on mangeait des pâtes ! réplique-t-il aussitôt.
Qu'est-ce que vous voulez répondre à ça ? Je me redresse et saute légèrement sur le carrelage, pour attraper deux assiettes et les couverts.
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Il faudra beaucoup m'aimer (Terminé)
RomanceAlix a 28 ans, un fiancé adorable, une vie parisienne assez cool, et un métier passionnant dans l'édition. Tout va pour le mieux jusqu'à ce qu'on lui demande de gérer le premier roman d'un jeune prodige de dix-huit ans. Sauf que le petit génie n'a a...