Chapitre 17

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Je suis rentré à la maison et j'ai attrapé Fred par le col. Il était en train de corriger des copies. Nous avons fait l'amour directement sur le bureau. Enfin... sur le bureau, sur le tapis et sur le canapé.

Il se redresse légèrement étourdi après mon assaut, tandis que je reprends moi aussi mon souffle, apaisée et presque embarrassée maintenant que le charme s'est dissipé.

Fred a le bon gout de ne jamais poser de question. Il se contente de m'adresser un sourire chaleureux quoiqu'un peu narquois.

- Dure journée au boulot, hein ?

Sans réponse de ma part, il entreprend de défroisser une copie que nos emballements ont un peu malmenée.

- Bon, je vais être obligé de lui mettre une bonne note, à celle-là !

Je me penche sur son crâne pour embrasser un petit coin spécial, juste à côté de l'oreille, qui n'appartient qu'à nous, et je souffle d'un ton appréciateur.

- Ça valait bien seize ou dix-sept, monsieur le professeur.

Il vérifie rapidement le nom de l'élève en haut de la copie.

- Ouh... ça va lui faire tout drôle !

Je ris et je m'étire avec volupté.

- Je vais prendre un bain. On sort ce soir ? Tu m'amènes dans un endroit où il y a beaucoup de monde, de la bonne musique, et des cocktails à tomber, hein ?

Il ne lui faut pas deux secondes pour tout planifier dans sa tête.

- J'ai ce qu'il te faut !

- Caro mio...

Il fronce les sourcils.

- Quoi ? je demande, devant son air étonné.

- Rien, rien. Je me méfie toujours quand tu me parles italien...

*****

Rien de tel qu'une séance amoureuse quand on se connait bien et que ton partenaire, rodé et attentif, appuie sans faillir sur chaque petit déclencheur de ton plaisir secret. Je serais folle de penser à Robin quand j'ai Batman à la maison.

Un bain là-dessus, moussant et voluptueux, finit de me détendre. Cela me permet de prendre un peu de recul sur cette fin de journée. En y repensant, je regrette mon départ précipité. Artus prend un malin plaisir à me déstabiliser mais c'est un plaisir de gamin joueur. Et si je ne tombais pas dans chaque piège qu'il me tend, cela cesserait de l'amuser.

Je tente de débloquer les tensions de mon corps, faisant longuement tourner mon cou et ma nuque dans l'eau brûlante, essayant de ne rien laisser dépasser que ma tête au-dessus de la mousse ouatée et protectrice.

Franchement, je ne comprends pas ce qui peut me perturber de la sorte. Bien sûr, Artus est un génie, mais il ne manque pas de gens brillants dans mon entourage. Bon sang ! On édite la moitié de ce que les lettres françaises comptent de grands auteurs. Et quand j'ai passé tout un diner avec ce passionnant poète sud-américain, prix Nobel de littérature, je ne lui ai pas arraché sa chemise au dessert, que je sache !

Ou alors c'est purement physique. L'urgence animale d'attraper dans mes griffes, une fois, une seule fois, un de ces adonis qu'on ne voit d'habitude que dans les magazines. Fred est pas mal dans son genre, je serais folle de lui reprocher quoi que ce soit. Il a toujours eu un petit côté nounours, mais il fait l'effort de s'entretenir et sa carrure et son charme italien ne laissent pas les femmes indifférentes. Bien sûr, je n'ai jamais compté les abdos sous sa peau tendue, ni dessiné au cordeau les contours de ses pectoraux, mais je ne peux pas être tourneboulée par quelque chose d'aussi futile ! Je suis épanouie, heureuse dans mon couple, en pleine ascension professionnelle... et je me troublerais comme une gamine travaillée par ses hormones ? Jouer avec un corps parfait et voir ce que je peux en tirer de sensations, c'est ça le fantasme d'une femme accomplie de presque trente ans ? Observer la mécanique souple des muscles sous sa peau veloutée quand il montera à l'assaut avec la vigueur un peu naïve des garçons qui n'en ont que dix-huit ? Mettre au défi ce cerveau si brillant de me donner un plaisir que je n'aurais pas encore connu ? Me perdre dans ce regard si absurdement clair sans avoir, pour une fois, à chercher la sortie.

Moi qui me pensais un pur esprit, j'ai des rêves de midinette !

Lorsque nous étions plus jeunes, Fred et moi avons fait un stage d'été dans une ferme d'alpage. Un soir, un cabri s'est égaré dans la montagne. Fred est allé le chercher à la lampe torche, en pleine nuit, et l'a ramené au petit matin, un sourire béat et presque la larme à l'œil. Je me suis jurée ce jour-là qu'il serait l'homme de ma vie.

Artus n'a rien qui puisse rivaliser avec ça. Rien. Ni cette profondeur. Ni cette humanité. Artus est une flamme, dangereuse et mouvante. Un peu comme ces plantes exotiques trop séduisantes sur lesquelles les insectes fascinés viennent gouter leur dernier festin. C'est peut-être ça qui m'attire mais cette idée devrait au contraire m'inquiéter. Il parait que l'intestin est un deuxième cerveau : je ressens là, dans mon ventre, au plus profond de moi, tout ce que son caractère autodestructeur a de puissamment charnel. Les femmes ont un instinct pour ce choses-là. Elles savent entendre derrière le charme ravageur et une sexualité débordante, la voix intime qui murmure que « celui-ci est un piège ».

C'est ce que me répète ma voix en ce moment, ce que me crie toute ma raison.

Celui-ci est un piège.

- J'ai réservé chez Pantruche à vingt heures. Et ensuite, nuit de folie au Phantom : j'ai proposé à Béné et Farid de nous rejoindre, ça te va ? m'interrompt Fred en passant une tête par l'entrebâillement de la porte.

- Mmh... dans le mille, Mister Perfect !

- Et avec ça, madame ? Je vous apporte un petit verre ?

Je lui souris à travers la mousse.

- Quelque chose de fort, si ce n'est pas abusé.

Son visage s'éclaire.

- J'ai inventé une recette de cocktail l'autre jour... C'est peut-être le bon soir pour le tester !

Je rigole franchement ; il n'arrêtera jamais de me surprendre.

- Tu as inventé un... Ça t'es venu comment ?

Il hésite un peu, puis se lance avec un sourire penaud.

- C'est une base que j'ai trouvée dans un vieux livre d'Histoire, sur les invasions normandes...

Il précise aussitôt, d'un ton qui se veut rassurant.

- Mais c'est pas de l'hydromel, hein ! Ça fait un peu viking, j'avoue... mais j'ai modernisé tout ça.

Je m'amuse de toutes les précautions qu'il prend.

- Tant que ça ne se boit pas dans un crâne !

Quoique. Je connais un crâne que je viderais bien à la petite cuillère.

- Si tu valides, je l'appelle l'Alix Pink Dream. Arthur m'a déjà dit qu'il était partant pour le mettre à la carte du Bronx.

Je souris en imaginant la scène dans le bar le plus branché du quartier.

- Barman, deux Alix et sans faux col !

Fred m'embrasse tendrement.

- Pourquoi deux ? Pour moi y' en aura toujours qu'une !

L'espace d'un court instant, je flotte légèrement au-dessus des bulles.

Il faudra beaucoup m'aimer (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant