Lettres d'une supernova

Etoiles binaires

PDV de Ludmila:

Etonnée, je me redressai. J'époussetai légèrement ma robe et tapotai mon mouchoir sur mes joues.

-  Felipe? Qu'est ce que tu fais ici? M'étonnai-je en tournant la tête vers mon interlocuteur.

-  Je me suis dit que tu aurais sûrement besoin de compagnie, me répondit-il en souriant. Raconte moi quelque chose sur les étoiles s'il te plait.

-  A propos des étoiles, je... Attends, je ne suis pas certaine de comprendre la raison de ta présence, balbutiai-je, trop perturbée par notre échange.

-  Une chose après l'autre tu veux bien, me répondit le blondinet. Je t'ai vue t'émerveiller devant le ciel étoilé alors j'ai décidé de te rejoindre. Allez, tu n'as pas une anecdote?

-  Très bien! Regarde celle-ci, lui montrai-je en désignant l'étoile la plus brillante du ciel. Il s'agit de Sirius. Si tu regardes tout autour d'elle, tu remarqueras qu'elle est en fait un point d'une constellation.

A mes cotés, Felipe plissait les yeux, suivant scrupuleusement les mouvements de mon doigt.

-  Elle marque le cou de la constellation du Grand Chien. On a de la chance car Canis Major n'est pas visible toute l'année. En général, on peut l'apercevoir le soir à la fin de l'hiver. Enfin, je m'égare, nous parlions de Sirius. Cette étoile est la plus brillante visible depuis notre chère planète Terre. Je dis « cette étoile » mais je devrais parler au pluriel. Sirius est en fait une étoile binaire. Elle est composée de Sirius A; une étoile blanche éclatante de lumière âgée de 250 millions d'années, et de Sirius B; une naine blanche, plus petite et plus chaude que sa compagne.

Alors que je faisais de la vulgarisation scientifique à propos de Sirius, j'entendis le rire cristallin de mon compagnon. Intriguée, je tournai la tête vers lui et lui jetai un regard noir. S'il n'était pas intéressé par l'astronomie, pourquoi m'avait-il demandé de lui en parler?

-  Je peux savoir pourquoi tu ris? Il ne me semble pas avoir dit quelque chose de drôle pourtant, lui assénai-je, vexée par sa réaction.

-  Ludmila, ma douce, commença le séducteur espagnol en me regardant droit dans les yeux. Je ne ris pas de toi. C'est l'anecdote que tu as choisi que je trouve plutôt... éloquente, je dirais.

Un instant, je réfléchis à ses propos. Réellement perdue, je l'interrogeai du regard. Je ne voyais vraiment pas où Felipe voulait en venir. D'ordinaire, je cernais rapidement les intentions des gens. Certains diront que mon propre vice me permettait de sonder la noirceur de l'âme des autres et ils n'auraient pas tord. Pourtant, à cet instant, face à ce fantôme de mon passé, je séchais complètement. Je n'arrivais pas à déchiffrer son petit jeu. S'il continuait sur sa lancée, il allait me rendre chèvre. Voyant qu'il m'agaçait de plus en plus, il se lança alors dans de plus amples explications:

-  Ludmila, parmi toutes les anecdotes que tu aurais pu trouver, tu as choisi de me parler d'étoiles binaires. On ne se connait peut-être pas très bien tous les deux mais je sais que tu en connais un rayon sur les étoiles. Pourtant, ton inconscient a décidé d'évoquer les deux Sirius.

-  Encore une fois, Felipe je ne suis pas sûre de comprendre ce que tu veux dire.

-  C'est simple! Tu t'exprimes souvent en métaphore. Tu choisis d'utiliser le mot supernova pour te mettre en confiance, le terme naine rouge pour désigner quelqu'un ou quelque chose de banal et les étoiles binaires...

Il ne termina pas sa phrase, me lançant simplement un regard entendu. Lourd de sens. Les étoiles binaires, dans mon cadre de référence à moi, désignaient des âmes soeurs. Deux personnes faites pour s'aimer et passer leurs vies ensemble. En fait, cette obsession pour les étoiles doubles s'était développée en même temps que mon amour pour Federico. Il avait choisi de s'instruire pour m'impressionner. Il avait étudié l'astronomie avec autant de soin que moi pour conquérir mon coeur. A l'époque cette attention m'avait faite fondre comme neige au soleil. Il m'avait fallu le temps que la Terre effectue un tour sur elle-même, pour tomber éperdument amoureuse de son phrasé d'astrophysicien.