Un premier pardon

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PDV de Ludmila:

-  Ludmila.

Mes pieds bien ancrés au sol, je ne pouvais pas me retourner. A dire vrai, je n'étais pas capable d'esquisser le moindre mouvement. Le souffle court, j'essayais de limiter les nombreux battements frénétiques de mon coeur. Il allait vite, trop vite. Je le sentais s'affoler jusqu'à mes oreilles, créant un bourdonnement sourd qui m'empêchait de réfléchir. J'étais à présent confronter à mon passé. Ce même passé que j'étais dans l'incapacité la plus complète d'affronter. Ludmila n'existait plus. J'en avais terminé avec cette identité lorsque j'avais quitté mon pays natal, lorsqu'on m'avait abandonné à mon propre sort loin de tous mes repères.

-  Ludmila, répéta plus fort cette voix familière.

Je ne retournerais pas. Ce fait établi, je repris mes esprits et commençai à avancer droit devant, machinalement.

-  Ludmila, cria mon ancien ami derrière moi, nous devons parler!

-  Je ne réponds plus à ce nom là, éludai-je.

Je le sentais s'approcher mais je refusai toujours de lui faire face. Me reconstruire loin de tout m'avait demandé trop d'efforts pour que je cède si facilement.

-  Ecoute...

Il s'interrompit quelques instants, cherchant quelque chose d'intelligent à dire, il voulait trouver les mots justes.

-  Non, je ne veux pas t'écouter Diego, ni toi, ni les autres.

J'aurais souhaité être assez forte pour continuer à avancer. J'aurais aimé ne pas me retourner et ne jamais voir le visage triste de mon meilleur ami. Les immenses cernes noires sous ses yeux m'indiquaient qu'il ne trouvait plus le sommeil depuis quelques temps. Son visage marqué et sa posture suppliante me rappelaient sa tristesse passée. Il l'avait toujours si bien cachée, que je ne l'avais aperçue qu'à de très rares occasions. La dernière fois que je l'avais vu dans cet état, remontait à l'année précédente. J'avais d'ailleurs été responsable, en partie, de cette douleur atroce qu'il avait dû porter. J'avais sciemment choisi de le laisser dans l'ignorance à propos de l'identité de son père alors qu'il m'implorait de lui dire la vérité. Aujourd'hui, il se tenait debout, face à moi, portant sa tristesse à bout de bras. Il paraissait fatigué, abattu, à fleur de peau. J'aurais voulu ne pas lui accorder mon pardon pour son indifférence de ses derniers mois. J'aurais désiré ne jamais plus le revoir pour ne jamais regretter son amitié. J'aurais aimé, plus que tout, ne pas me retourner pour ne jamais lire sa souffrance dans son regard. Je posai délicatement ma main sur sa joue. Il avait choisi de me rejoindre en connaissance de cause alors il devait affronter la vérité en face. J'étais moi aussi abimée. Cassée. Ses yeux rencontrèrent les miens. Je sentais les larmes dévalées le long de mes joues. Je ne pouvais pas les retenir, trop affaiblie pour me montrer aussi insensible et forte qu'à l'accoutumée. Je ne pouvais plus me cacher derrière ma froideur et ma méchanceté habituelles, je n'en étais plus capable.

-  Oh Ludmila, murmura Diego en me prenant dans ses bras, je suis tellement désolé.

Non, il ne l'était pas. Il se sentait coupable, voilà la vérité. Je devais me ressaisir, je devais me montrer ferme et partir sans regarder en arrière. Ils avaient tous choisi de m'abandonner, et Diego ne dérogeait pas à cette règle. Toujours contre son coeur, mon ancien ami poursuivit:

-  J'ai merdé. On a tous merdé à dire vrai, mais moi plus que les autres. Je te connais depuis qu'on est petits alors j'aurais dû savoir que tu n'avais rien fait. Je ne te parle pas seulement de l'accident. Non, j'englobe tous tes choix de vie, j'aurais dû comprendre que tu n'étais pas pleinement responsable de tes actes. J'aimerais te dire que je m'en doutais mais pas un instant, je n'aurais imaginé ta mère, être la responsable de tes blessures. Elle a généré une telle souffrance que tu as bâti ta vie sur des bases bancales, persuadée que les personnes qui t'entouraient, te voulaient du mal. Je comprends à présent ce besoin qui t'habitait, tu faisais souffrir, pour ne pas souffrir toi-même. Tu infligeais aux autres une peine pour te décharger un peu de la tienne. Tu te montrais sous ton plus mauvais jour pour que les autres restent loin de toi, pour qu'ils ne s'attachent jamais à toi. Tu rejetais les gens avant qu'eux-mêmes ne fassent le choix de t'abandonner. Je te demande pardon de ne pas avoir compris et décrypté ton comportement plus tôt. J'aurais dû t'aider. J'aurais dû être là pour toi. Mais ça va changer Ludmila. Je t'en fais la promesse, je ne te lâcherai plus. Qu'importe le temps que ça prendra, je resterai à tes cotés et je te prouverai combien notre amitié compte, je te montrerai que je mérite ta confiance malgré tout. Tu vaux la peine que je me batte pour nous, comme tu l'as fait l'année dernière quand je t'ai tourné le dos. Je le sais à présent, tu as essayé d'arranger les choses, c'est à mon tour de le faire, si tu le veux bien.

Diego me tenait toujours fermement contre lui. Il me berçait tandis que je déversais tous mes larmes sur son épaule. J'étais si fatiguée de devoir me battre sans cesse. Accablée de devoir affronter les préjugés, le regard des autres et les jugements de valeur. Aujourd'hui, je tentais de me reconstruire. J'apprenais enfin à connaitre la véritable moi, cette personne qui sommeillait au creux de mon être depuis trop longtemps. Je n'étais certes pas encore capable de dire qui j'étais mais j'avais des certitudes sur ce que je n'étais pas. Je n'étais pas la méchante de l'histoire. Je n'étais pas la victime du mauvais traitement de sa mère. Je n'étais pas l'enfant abandonné par son père. Je n'étais pas l'ennemie à abattre du Studio. Je n'étais pas la risée du monde musical. Aujourd'hui, je réalisais surtout que je n'étais plus seule. Comme pour étayer mes propos, une voix familière se fit entendre derrière moi:

-  Ludmila! Je savais bien qu'il ne fallait pas venir te voir sur ton lieu de travail. Je l'avais dit aux autres mais ils ne m'ont pas écouté.

Je me détachai des bras de Diego et séchai rapidement mes dernières larmes d'un revers de la main. Je me retournai et affichai mon plus beau sourire à ma meilleure amie. Nata aussi avait fait le déplacement jusqu'en Espagne pour me retrouver. J'avais presque envie de lui sauter au cou. Je dis bien presque. Alors que je lui faisais un timide signe de tête pour lui dire bonjour, ma brunette me serra fort contre elle.

-  Je sais que tu détestes les câlins mais tu m'as trop manqué alors tu me dois bien ça!

-  Je suis heureuse de te revoir moi aussi Nata, lui dis-je en resserrant mon étreinte.

-  Je me sentirais presque de trop dans ses retrouvailles, intervint Diego tout sourire. Asseyons nous, je crois qu'on a beaucoup de choses à se dire.

-  Je pense aussi, répondis-je. Qu'est ce que vous faites là?

-  On est venu te chercher. Avec les copains du Studio, on a découvert la vérité sur l'accident de Violetta. Je suis sincèrement désolé que tu aies eu à supporter tous nos soupçons et cette punition injuste alors que tu n'étais responsable de rien. German te l'expliquera mieux que nous mais ta mère ne pourra plus faire de mal à personne. Elle a été arrêté et...

Ils savaient. A présent, tout le monde connaissait les véritables intentions de Priscilla. Sa personnalité narcissique et son comportement abjecte avaient été révélés au grand jour. Je soufflais, soulagée par cette nouvelle. Pourtant, je ne pouvais pas m'en réjouir. Ma mère, malgré ses défauts, restait la personne qui m'avait élevée, celle qui avait consacré une grande partie de sa vie à mon éducation et à la satisfaction de mes besoins. Bien qu'elle ait failli à son rôle très souvent, je l'aimais, plus que tout.

-  Ecoute Ludmila, repris Nata, je sais que ça fait beaucoup à digérer. Nous sommes venus te chercher. German et Pablo t'attendent encore au café, j'imagine. Ils veulent te parler et voir avec toi comment tu envisages ton avenir. Il y a aussi Leon, Violetta et...

Ma meilleure amie s'interrompit, je relevai la tête et compris instantanément de qui elle voulait parler, ou plutôt de qui elle n'osait pas prononcer le prénom. 

Federico. Alors, les larmes rejaillirent sans crier gare. 

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Je suis désolée de ne pas avoir posté ce chapitre plus tôt mais j'ai eu mille choses à faire ces derniers temps. J'espère qu'il vous plaira, n'hésitez pas à me donner vos avis. En attendant la suite, je vous souhaite de bonnes vacances. 

Lettres d'une supernovaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant