Chapitre 7

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June est surexcitée, elle a mis ses plus belles chaussures et son sac est prêt depuis une semaine. Mon père s'assure par trois fois qu'il y a bien assez d'essence dans la voiture et Libby nous demande de faire attention sur la route. On en a que pour une heure, pas plus. J'ai fait une playlist sur mon portable, on ne verra pas le temps passer. Je coupe court aux au revoir, on revient dans deux jours à peine, ce n'est pas la fin du monde. June leurs fait de grands signes et mon père et Libby nous regardent partir depuis le trottoir comme si nous nous rendions à la guerre.
— Qu'est-ce qu'ils sont dramatiques, finis-je par dire.
Ma sœur confirme mes propos et passe une bonne partie du trajet à me dire à quel point elle a hâte de voir Roméo et de retrouver son ancienne chambre et aussi de voir maman, forcément. Lizzy compte passer nous voir ce week-end, elle ne vit qu'à une vingtaine de minutes de la maison donc ça sera toujours plus simple pour elle de nous rendre visite. Heureusement l'anniversaire de maman approche et ça sera l'occasion pour Nora de venir nous voir aussi. Ça fait si longtemps qu'on ne s'est pas retrouvées toutes les cinq à la maison en même temps. Finalement ça me manque. Bon évidemment je n'aurai jamais dit ça il y a quatre ans. Devoir vivre avec quatre autres filles dans une maison ce n'est pas toujours une mince affaire, surtout avec seulement deux salles de bain. Mais j'aurai peut-être dû en profiter un peu plus. Maintenant que June et moi vivons avec papa on ne peut plus passer autant de temps avec maman, Lizzy n'habite plus à deux pas de la maison et c'était déjà assez difficile de voir Nora maintenant c'est carrément pire. Positivons, ce week-end on va pouvoir profiter. Ma mère a pris deux jours entiers exprès pour nous. Il faut aussi que je vois Ellie. On n'a jamais passé autant de temps séparés et ce n'est vraiment pas facile. J'ai hâte qu'elle me raconte tout ce qu'il se passe au lycée et de lui parler du mien plus en détail. J'ai hâte de lui parler de Felix qu'elle trouvera super canon et de Daisy aussi.

Ma mère est devant la maison à nous attendre, exactement comme elle me l'avait dit. Je sors les sacs de la voiture et June court vers ma mère comme une dératée. Elle la serre dans ses bras et commence déjà à lui parler de tous les nouveaux trucs super cools qu'elle a dans sa nouvelle école. Quand je vois ma mère, je ne peux pas m'empêcher de voir Nora. Elles se ressemblent tellement que c'en est effrayant. June suit le même chemin d'ailleurs. Leurs yeux bleus tout ronds, leurs petit nez légèrement retroussés et leurs bouche en cœur. On pourrait croire qu'il ne s'agit que d'une seule et même personne à différentes étapes de sa vie. Je m'approche d'elle et elle m'ouvre ses bras.
— Comme vous m'avez manqué.
 Ces cernes dévoilent le manque de sommeil évident, mais elle semble beaucoup plus épanouie qu'avant.
— Éric n'est pas là ? Demandais-je.
Elle secoue la tête en m'expliquant qu'il voulait nous laisser toute les trois pour le week-end. Il est chez son frère jusqu'à dimanche.
— Dommage j'aurai bien aimé le voir.
Ma mère sourit, touchée et me promet de lui faire passer le message. Éric est mon beau-père depuis un moment maintenant. Il est génial, toujours le mot pour rire, très manuel et très sympa avec nous. Il n'a pas d'enfants, il aurait aimé en avoir mais son ex-compagne n'avait pas ce désir et il ne voulait pas l'obliger. Avec le temps ils se sont séparés et à quarante ans il était seul et sans enfants. Heureusement il a rencontré ma mère et se retrouve comblée avec quatre super belles-filles qu'il aime comme si elles étaient les siennes. Il a tout de suite été accepté. Enfin, Lizzy et Nora ont peut-être eu un peu plus de mal au début mais elles l'ont beaucoup moins côtoyé. Mais aujourd'hui elles l'apprécient tout autant que June et moi. J'aurai vraiment aimé le voir ce week-end. Ça sera dans deux semaines du coup. Ma mère nous parle de son nouveau poste et des obligations que ça engendre. Elle nous raconte tous les soucis qu'elle a réussi à éviter jusqu'ici et nous assure que c'est sportif. J'aime voir la passion à travers ses yeux et la joie sur son visage. J'essaie donc d'être aussi positive qu'elle pour éviter qu'elle se sente coupable de nous avoir fait déménager.
— C'est un super lycée, assurais-je, c'est vachement grand mais je me perds plus autant qu'avant.
 June me coupe pour parler de sa nouvelle institutrice et de ses copines de classes et après avoir déblatéré une dizaine de minutes ma mère me demande à moi si je me suis fait des amis.
 — Oui... Oui, dis-je peu sûre de moi.
Je mentionne rapidement Félix et Daisy et change de sujet avant qu'elle ne demande s'il y a quelque chose de plus entre Félix et moi. Je déteste parler de ça avec ma mère, ça me met mal à l'aise. Et de toute façon il n'y a rien entre lui et moi donc cette conversation n'a pas lieu d'être.
 Je suis assise sur mon lit, dans ma chambre qui me paraît maintenant si impersonnelle. Il ne reste que quelques vêtements et une ou deux photos sur mon mur, tout le reste est chez mon père. Je reste un petit moment assise ici sans rien faire de précis. Puis je réalise qu'il faut que je prévienne Ellie que je suis à la maison. Elle me tuerait si je passais le week-end ici sans qu'elle soit au courant. Je lui envoie un message disant que je viens d'arriver chez ma mère, que j'y reste jusqu'à dimanche et qu'on a obligation de se voir. Elle répond dans la seconde qu'elle n'est pas là ce soir mais qu'elle libère sa soirée de demain juste pour moi. Il est presque dix-huit heures, ma mère est allée chez les Jones pour que June aille voir Roméo. Elle m'a prévenu qu'elle boirait un thé là-bas pour les laisser profiter. Alors me voilà seule à la maison. Je retire mes vêtements pour prendre une douche, mon moment préféré de la journée. Je fais couler l'eau pour qu'elle chauffe et plie mon pyjama sur le meuble à côté. J'entre dans le nuage de buée et laisse l'eau rougir ma peau. Je sais que prendre une douche aussi chaude n'est pas bon, mais j'ai pris l'habitude de le faire et c'est vraiment plaisant. J'y reste presque vingt minutes à ne rien faire d'autre que de penser. Je pense à ces deux dernières semaines, à ce que je ressens, aux cours, à papa et Libby. Je ne sais pas trop si c'est excitant ou effrayant en fait. Peut-être les deux. Je me suis adaptée beaucoup plus facilement que je ne l'aurais pensé en vérité. Je sors de la douche et me sèche avant d'enfiler mon pyjama. Je retourne dans ma chambre m'asseoir sur mon lit, super productive Sacha, vraiment. Je parcours les réseaux, Ellie vient de tweeter qu'elle a super hâte de me voir demain. Nora a posté une énième photo de son chat sur sa story Instagram et Felix à posté une photo de son punching ball. Je like la photo. Je tapote rapidement mes doigts sur ma cuisse et tape à nouveau le nom de Daisy dans la barre de recherche puis efface son nom avant de reposer mon portable. Ma mère vient de rentrer, accompagnée de June qui ne cesse d'avoir le prénom de « Roméo » à la bouche. Ils sont plus inséparables qu'Ellie et moi. Et pour en arriver à notre niveau il en faut... Ellie et moi nous connaissons depuis nos six ans. On s'est rencontré à la rentrée et je crois qu'on ne s'est jamais lâchés depuis. On se complète pas mal même si on a un caractère très similaire. Bien sûr, il nous arrive de nous disputer, souvent. Enfin Ellie fait souvent la tête. J'attends que ça lui passe. Parce qu'il n'y a rien d'autre à faire dans ces moments-là de toute façon. J'aurai beau essayer de lui demander ce qui ne va pas, essayer d'arranger les choses. Rien ne marchera. Donc je me contente de laisser passer la tempête. June et Roméo se disputent aussi d'ailleurs, très souvent. June s'emporte dès que Roméo veut décider, elle DÉTESTE qu'on choisisse à sa place. Et avec le tempérament de leader qu'ils ont tous les deux, c'était presque tous les jours qu'on devait jouer les médiateurs. Heureusement ils se chamaillent autant qu'ils s'aiment et en une heure tout est réglé.
— Lizzy passe dimanche, avant que vous ne partiez, nous informe ma mère.
 Je suis surprise qu'elle vienne un dimanche. Très croyante, ce jour est plutôt réservé au seigneur pour elle. Mais je trouve ça sympa qu'elle déroge à cette règles pour nous. Nous passons à table et nous parlons de choses et d'autres, je parle de mes profs et June de ses institutrices. Ma mère nous raconte quelques ragots sur les gens du quartier et le repas touche à sa fin. Mon portable vibre dans ma poche.
Je jette un coup d'œil discret. « Daisy a aimé votre photo. »
 — Pas de téléphone à table, gronde ma mère.
 Je m'excuse et le range directement avant de commencer à débarrasser mon assiette. Je suis monté dans ma chambre pour brancher mon portable et suis redescendu aussitôt. Ma sœur vient de partir se mettre en pyjama et se brosser les dents. Ma mère allume la télé et nous a sorti son plaid le plus épais. Ça sent la soirée films au chaud.
 — Je ne voulais pas demander devant ta sœur mais... Tout se passe bien avec Libby ?
June apprécie beaucoup Libby. En même temps, Libby l'adore aussi. Et ma mère sait que c'est parfois compliqué entre ma belle-mère et moi. On ne se comprend pas toujours.
— Elle fait des efforts, avouais-je. Elle se retient de commenter ma tenue chaque matin et a cessé de fouiller ma chambre.
Je pense qu'elle se doute que je fume mais elle ne trouvera jamais la preuve. Je suis prévenante et je ne laisse jamais mon paquet de cigarette dans ma chambre, surtout quand je n'y suis pas. — J'espère que tu en fais aussi.
 Si par-là elle veut dire que je ne souffle pas chaque fois qu'elle fait une remarque sur la couleur des rideaux de nos voisins et que je ne lève pas les yeux quand elle éclate de rire à ses propres blagues. J'essaie. Difficilement. Mais c'est un bon début.
— Oui maman.
Ma mère ne connaît pas Libby, elle n'a vu que les photos que Lizzy à trouver d'elle sur Facebook quand papa et elle se sont mis ensemble. Ma mère avait un peu de mal à avaler la pilule au début. Après tout, ils se sont séparés en partie à cause d'elle. Mais c'était mieux, pour tous les deux. Leur relation battait de l'aile depuis si longtemps... J'en suis la preuve vivante. Alors ma mère est passée à autre chose. Et nous on a accepté Libby. Et très peu de temps après, Eric est arrivé. Ma mère n'avait donc plus aucune raison de la détester et nous non plus. Depuis elle veut qu'on la respecte et qu'on soit gentilles, elle refuse que Libby pense qu'elle a mal élevé ses filles. Et je ne veux pas lui donner ce plaisir. Ma petite sœur descend avec le pyjama rose le plus flashy que j'ai vu de ma vie.
 — Même sous la torture je refuserai de mettre un truc pareil, lâchais-je.
 Ma sœur me répond qu'elle se fiche de mon avis et qu'il est hyper confortable. Ma mère s'est décidée et lance « Maman j'ai raté l'avion » sur la télé avant de nous demander d'arrêter de jacasser et venir s'asseoir entre nous. Lovées les unes contre les autres au chaud devant un de nos films préférés je ne souhaiterai être nulle part d'autre. Ma mère me manque, souvent. Mais ne n'ose pas lui dire, j'ai peur qu'elle se sente mal. Et puis je suis heureuse avec papa. Ça nous permet de garder les liens que j'avais peur de perdre lorsqu'il a déménagé. Mais là, si c'était à refaire je voudrais rester ici, tous les jours. En fait, je voudrais retrouver la période où nous vivions tous ensemble dans cette grande maison qui me semble aujourd'hui si vide. Au bout d'une demi-heure de film, j'entends les ronflements de ma petite sœur. Ma mère aussi baille. Je devine qu'elle veut aller se coucher mais le propose en première pour éviter qu'elle ne s'oblige à finir le film pour moi.
— Tu m'aides à emmener ta sœur dans son lit ? Demande ma mère en éteignant la télé.
 June commence à faire son poids, surtout endormie. Ma mère décide de la mettre dans sa chambre à elle pour lui éviter de monter les marches jusqu'à la chambre de June. Je les accompagne jusqu'au lit de ma mère et leurs souhaite bonne nuit avant de monter dans ma chambre. Je m'effondre dans mon lit et regarde le plafond. Je tourne la tête et regarde l'immense place vide où le lit de ma sœur se trouvait auparavant. Lit dans lequel j'ai fini si souvent. Je décide de lui envoyer un message. À : Nora. Tu me manques. Envoyé. Je remarque une notification. Un message privé de Daisy. Je clique directement dessus:
 « Alors le week-end chez maman, pas trop dépaysée ? »
 Je souris. C'est sympa de sa part de me demander des nouvelles. Elle aurait pu m'oublier durant le week-end ou me parler de notre devoir à rendre. Je crois que j'aime bien Daisy, oui je l'aime bien.

Fix meOù les histoires vivent. Découvrez maintenant