Chapitre 23

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Arthur a dit qu'il se chargeait de prévenir Félix que je ne rentrais pas avec lui. Il a dit qu'il allait lui prendre ses clés de voiture pour être sûr qu'il reste sur place. Quant à moi, je suis allé boire un grand verre d'eau à défaut de boire un verre de vodka. Arthur demande à Daisy de faire attention et l'embrasse sur le front en lui disant qu'il l'aime. Je me retiens de montrer à quel point je suis jalouse et attends sagement près de la porte. Ma colocataire éphémère prend ses clés et m'ordonne de sortir. Je m'exécute et titube légèrement jusqu'à la voiture.
— Pourquoi tu as autant bu ?
Le problème n'est pas tant que j'ai beaucoup bu, mais j'ai surtout pas du tout mangé et j'avoue avoir mis beaucoup plus d'alcool que de diluant. Ça joue peut-être un peu.

— J'ai faim, me contentais-je de répondre.
Nous montons dans la voiture, Daisy me dit qu'elle va me préparer un truc en rentrant et qu'il faut que je boive beaucoup d'eau.
— Tu pourras prendre une douche si tu veux ?
Je secoue frénétiquement la tête, hors de question que je retourne dans cette douche un jour.
— Non merci, dis-je froidement.
Elle peut penser que je suis puérile, je n'en ai rien à faire. Je passe les cinq minutes de route, silencieuse à essayer d'avoir l'esprit clair. Est-ce que l'alcool peut descendre plus vite ?

Arrivée chez Daisy, elle m'informe que ses parents dorment à l'étage. J'essaie tout de même d'être silencieuse et surtout de ne pas tomber. Nous entrons dans la cuisine. Daisy sort des pâtes et du fromage râpé. J'en ai l'eau à la bouche rien que de penser à la plâtré que je vais m'enfiler.
— Si tu veux boire un truc frais, sers toi dans le frigo, lance-t-elle.
Je m'approche de celui-ci, mais rien ne me fait envie. Je vais me contenter d'un verre d'eau, ça ne peut que me faire du bien. Lorsque je me tourne Daisy regarde l'eau bouillir, en silence.
— Ça va ? Lançais-je en avalant une gorgée d'eau.
Elle tourne la tête vers moi et baille.
— Oui, désolée je suis un peu fatiguée.
Je m'assois sur le meuble à côté d'elle, l'alcool me rend beaucoup plus apte à discuter avec elle sans me poser de question. Je la regarde un temps, puis sans réfléchir je me mets à lui parler.
— Tu l'as fait comment ton coming out, à tes parents ?
Je ne sais pas si faire un coming out « bisexuel » est plus simple, je ne pense pas. Aucun coming out n'est simple, même s'ils devraient l'être. Daisy semble un peu surprise par ma question, mais j'ai envie de savoir et à part elle je ne sais pas à qui en parler.
— On était à table, tous les quatre. Et j'ai simplement annoncé que j'avais une petite amie.
Oh, ça peut donc être aussi simple.
— J'ai directement expliqué que j'étais bisexuelle et que je ne voulais pas que ça change quelque chose pour eux.
Je balance légèrement mes pieds en regardant le sol.
— Et ils ont bien réagit ?
Je relève la tête pour la voir acquiescer.
— Super bien, ils étaient contents pour moi. Et hop, c'était juste fini. Mon coming out était fait.
Elle sourit.
— Je pense que d'une certaine façon, ma mère pensait que ce n'était qu'une phase. Je l'ai vu quand je lui ai présenté Arthur la première fois, elle ne voulait pas le montrer mais elle était rassurée que je sois avec un garçon.
Je me perds dans mes pensées une minute. M'imaginant annoncer à ma famille la vérité et espérer qu'ils réagissent de la même façon.
—Tu comptes dire à tes parents que tu es...
Elle veut que je finisse la phrase moi-même, ses yeux ne lâchent pas les miens.
— Lesbienne. Oui.
J'en ai envie, je veux leur dire. J'ai besoin de ressentir la même chose que lorsque je l'ai annoncé à Nora. J'ai besoin d'avoir ce secret en moins sur les épaules. J'en ai assez de mentir, aux autres, à moi, à tout le monde.
— C'est un pansement à arracher tu verras.
Quand je repense à la réaction d'Ellie je réalise que ça ne sera sûrement pas aussi simple pour moi que ça l'a été pour elle. Et l'idée qu'un membre de ma famille ne m'accepte pas pour ce que je suis m'effraie tellement que je crois finalement que je préfère me taire aussi longtemps qu'il le faudra.
Daisy me serre mon assiette de pâtes. Nous mangeons toutes les deux face à face, parlant de choses et d'autres. L'alcool redescend tout doucement. Je regarde l'heure, il est seulement une heure du matin.
— On y va ? Demande Daisy en se levant.
Je prends mon assiette que je mets dans le lave-vaisselle et suit mon amie à l'étage. J'ai un peu la nausée, j'ai trop mangé et trop vite.
— T'as pas une bassine ? J'ai peur de vomir.
Daisy me demande de la suivre jusqu'à la salle de bain. Elle s'éclipse pour aller me chercher du démaquillant, un pyjama et une bassine. Je regarde tout autour de moi et repense à la dernière fois que j'étais ici. Tout un tas de sentiments me viennent. Mais Daisy revient avant que j'aie le temps de trop y penser.
— Tiens, du démaquillant, du coton, un pull, un leggings et une bassine.
Je reconnais le pull couleur lavande qu'elle m'avait prêté la dernière fois. Je le regarde un moment avant de le prendre. Elle ne l'a pas fait exprès, ce qui me fait prendre conscience qu'elle n'a vraiment pas vu les choses comme moi. Et je crois que ça me fait encore mal.
Elle sort de la salle de bain pour me laisser me changer. Je retire tout mon maquillage et enfile les vêtements qu'elle m'a prêté. Je prends ma bassine sous le bras et traverse le couloir jusqu'à sa chambre. Elle est encore en culotte, elle vient seulement de mettre son haut de pyjama. Je détourne légèrement le regard et lui demande si elle peut me montrer où je dors. Je la vois enfiler un leggings du coin de l'œil.
— Euh ici, la chambre d'amis est en travaux, ma mère refait les peintures depuis deux jours.
Je regarde le grand lit deux places et réalise que je vais devoir dormir avec elle.
— Si ça te dérange je peux dormir sur le canapé, ajoute-t-elle.
Et de quoi j'aurais l'air si je la laissais y aller ? Elle m'héberge et prend le risque que je vomisse dans son lit. Je peux bien prendre sur moi pour une nuit.
— Non, ça va aller.
Elle me signale qu'elle dort du côté gauche du lit. Je me glisse sous l'épaisse couverture et m'allonge, regardant le plafond qui tourne encore un peu. Je sens que je vais avoir du mal à trouver le sommeil.
Daisy est sur le dos, elle aussi elle regarde le plafond. Je sens qu'elle veut parler mais qu'elle n'ose rien dire.
— L'alcool redescend, mais j'ai la tête qui tourne, me plains-je.
Elle cherche une façon de me faire penser à autre chose. J'essaie de fermer les yeux mais c'est encore pire.
— Regarde la lampe, au plafond. Il te faut un point fixe.
Je suis ses conseils et essaie de me concentrer sur l'ombre de l'ampoule au-dessus de moi.
— Parles moi, pour te faire penser à quelque chose d'autre.
Sur le coup je n'ai aucune idée de quoi parler. C'est toujours quand tu es contraint de devoir raconter quelque chose que tu te retrouves comme une idiote à ne plus savoir aligner deux mots.
— Parles moi de ta famille, j'imagine qu'il y a des tas de trucs à raconter sur eux.
Et elle a trouvé le sujet qui m'inspire le plus. Alors je me mets à déblatérer sur June, sur son caractère que j'adore et à quel point j'ai hâte de voir la femme intelligente et indépendante qu'elle va devenir. Je lui parle de Nora et de notre lien si spécial, du manque qui s'est creusé en moi depuis son départ. Et puis je lui parle d'Elizabeth et de mon admiration pour elle, du modèle qu'elle a toujours représenté pour mes sœurs et moi. Et finalement, de mes parents.
— Pourquoi ils ont divorcé ? Demande-t-elle.
Ça fait des années. Et pourtant j'ai toujours des frissons en y repensant.
— Mon père a rencontré une autre femme... Ma belle-mère en fait.
Elle s'offusque. Comme toutes les personnes qui l'ont appris. Faisant passer mon père pour un monstre.
— Ça a dû être difficile pour ta mère.
Je nous revois, dans le lit de Nora, les unes contre les autres à attendre que nos parents cessent de se disputer.
— Ce n'était pas la période la plus fun de sa vie.
Je prends une grande inspiration.
— Et ton père, tu ne lui en veut pas d'avoir brisé votre famille ?
Je sais qu'elle ne comprend pas. Ses parents sont ensemble et ils s'aiment, elle ne peut pas comprendre ce que c'est. Et c'est tant mieux pour elle.
— Il n'a pas brisé notre famille, ça faisait des années qu'elle l'était. Mais ils étaient assez doués pour le cacher.
Je sais que j'ai piqué sa curiosité, elle ne me laisserait pas m'arrêter en si bon chemin.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? Depuis des années ?
Je fixe toujours cette ampoule. Je ne sais pas si c'est ça où ma conversation avec Daisy mais ma tête ne tourne plus.
— Ma mère a eu une aventure quelques années avant leur divorce.
Si Daisy le pouvait, elle sortirait un paquet de popcorn. Heureusement pour elle, l'alcool semble délier ma langue.
— Qui s'est soldé par une grossesse.
Là, elle n'a pas été capable de se taire, et le soupir de surprise est visiblement sorti de sa bouche sans qu'elle s'en rende compte.
— Tu veux dire que June est ...
Je secoue la tête.
— C'était avant June. June c'était le bébé de la réconciliation.
Daisy s'assoit et me regarde. Ayant peur de comprendre ce que je venais de dire.
— C'est toi ?
Je hoche la tête et ne lâche toujours pas cette foutue ampoule des yeux. Je ne veux pas regarder Daisy, je déteste le regard de pitié qu'elle est probablement en train de me lancer.
— C'est pour ça que tu parles toujours de la ressemblance frappante que Nora et June ont avec ta mère, et de celle d'Elizabeth avec votre père.
Elle réalise tout d'un coup que le souci avec mes cheveux roux et mes yeux bleus n'est pas uniquement dû à un problème esthétique mais que ça va bien plus loin que ça.
— Et ... comment... Je veux dire...
Des tas de questions se bousculent dans sa tête, comme moi le jour où j'ai compris la vérité. Mais elle est trop polie et à peur de dire des choses maladroites.

— Je l'ai compris toute seule. Mais je ne voulais pas le voir. Puis Nora l'a appris et j'y ai été finalement confronté. J'en ai parlé à ma mère et ai rapidement voulu mettre cette histoire de côté. Ni June ni Elizabeth ne savent et je ne pense pas que ça soit nécessaire qu'elles soient au courant, comme tu dis notre famille a déjà été assez brisée.

Mon ton est doux, comme si je lui racontais une anecdote banale de mon enfance.
— Et ton vrai père ?
Je la regarde enfin. Ses cheveux roses entourent son magnifique visage.
— Je sais rien de lui et je ne veux rien savoir. Mon vrai père est celui qui m'a élevé.
Daisy sourit, voyant l'amour que je porte à mon père. Il est vraiment une des personnes que j'aime le plus au monde. Et je refuse d'imaginer une seconde qu'un autre homme que lui puisse porter ce titre. Il ne m'a jamais traité différemment de June, Lizzie ou Nora et je sais qu'il ne le fera jamais. Ce qui me rend encore plus anxieuse à l'idée de lui parler de la sexualité. Je me fiche qu'Ellie ne me parle plus, que les gens me traitent différemment où même que Daisy me dise encore et encore qu'elle ne veuille jamais être avec moi. Je ne supporterai pas que mon père m'aime différemment, qu'il change, qu'il ne m'accepte pas. Ça serait trop dur pour moi.
— C'est la première fois que je le raconte à quelqu'un, confiais-je.
Daisy sourit à nouveau, touchée.
— Je te remercie de m'honorer en me racontant un truc aussi personnel, Sacha Anderson.

Fix meOù les histoires vivent. Découvrez maintenant