Chapitre 29

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J'ai passé le reste de l'après-midi cloîtrée dans ma chambre. Je m'en veux d'avoir gâché l'anniversaire de ma mère et nos retrouvailles. Si je n'avais rien dit on aurait passés l'après-midi à s'extasier sur le futur bébé de Lizzie. Mais non il fallut que je ramène tout à moi. Quelqu'un frappe à ma porte, je ne réponds pas. Le visage de ma mère apparaît dans l'ouverture de celle-ci.
— Je peux entrer ?
J'essaie d'afficher un visage neutre et accepte. Ma mère vient s'asseoir à côté de moi, sur mon lit. Elle regarde la chambre comme si elle la découvrait à nouveau.
— Je me souviens du premier jour où on a emménagé, commence-t-elle, tu ne devais pas avoir plus de 2 ans.
Elle sourit en pensant à se souvenir lointain.
— On avait décidé de prendre une plus grande maison, parce qu'on commençait à manquer de places avec trois enfants.
Je n'arrive plus à imaginer une période de nos vies où nous n'étions pas déjà toutes les quatre. Et pourtant il s'est passé presque dix ans entre ma naissance et celle de June.
— On avait trois chambres pour nos trois filles, deux grandes salles de bain, une suite parentale et un immense salon. La maison dont on avait toujours rêvé.
Elle se met à réfléchir.
— Et tu n'as jamais voulu dormir dans la chambre qu'on t'avait préparée.
Je souris, je crois ne jamais avoir dormi autre part que dans la chambre avec Nora.
— On pensait que tu serais contente d'avoir ta chambre rien qu'à toi, avec tes jouets. Mais tu ne voulais rien savoir. Alors on a installé ton lit, dans la chambre de Nora, ici même.
Elle me montre la place où je suis installée.
— Tu as toujours été une petite fille assez secrète, tu ne parlais pas de tes chagrins, ni de tes inquiétudes. En vérité, il fallait carrément avoir un diplôme de détective pour savoir ce qu'il se passait dans ta vie.
Elle a raison, je n'ai jamais aimé partager ce que je ressentais, en tout cas pas avec ma famille. J'ai toujours été pudique à propos de mes sentiments.
— Et pourtant tu es celle qui a le plus besoin de nous, et tu l'as toujours été.
Encore une fois elle marque un point. Quand Nora est partie j'ai joué la carte de la joie, enfin une chambre à moi toute seule, une salle de bain libre beaucoup plus souvent, juste une petite sœur pas si chiante à supporter. Mais ça m'a fait un énorme vide. Comme quand Lizzie est partie et que June et moi avons déménagé chez papa. Je n'arrive pas toujours à comprendre comment je peux être la seule que ça rend aussi triste.
— J'ai toujours voulu que vous m'aimiez et j'avais jamais l'impression d'être assez bien. Je ne suis pas studieuse comme Lizzie, belle comme Nora ou intelligente comme June.
Ma mère me prend la main.
— Mais tu es gentille comme Sacha, franche comme Sacha, bienveillante comme Sacha. Des qualités que tes sœurs aussi t'envient.
Elle réussit à me faire sourire, enfin.
— Je t'aime ma chérie et je suis désolée que ça t'ai pris autant de temps pour nous avouer qui tu aimais, je suis désolée de pas avoir vu que ça te tracassait et de ne pas avoir su t'accompagner comme je l'aurais voulu.
Je n'ai pas envie qu'elle se sente coupable, elle a toujours fait tout ce qu'il fallait pour moi.
— Désolée d'avoir gâché ton anniversaire, dis-je enfin en reniflant.
Elle me serre contre elle.
— Dis pas de bêtises, j'ai eu que des supers cadeaux aujourd'hui, je vais être grand-mère ! Et la confiance que tu m'as offerte en nous faisant ton coming out en est un aussi magnifique.
Je ne lâche pas notre étreinte.
— Et pour Lizzie, souffle-t-elle, laisse-lui le temps d'encaisser, elle comprendra.
Je suis finalement descendue et tout le monde à fait comme si de rien était, je sais que Nora est furieuse contre notre sœur mais elle le contient le plus possible. Nous avons passé la fin d'après-midi devant « Retours vers le futur » le film préféré de ma mère avant d'aller au restaurant qu'Éric a réservé il y a un mois déjà. Je me sens mal à l'aise, Lizzie n'est pas là et c'est ma faute. Enfin c'est la sienne, mais c'est quand même la mienne. Et je n'arrête pas de penser à ce qu'elle se dit, est-ce qu'elle me déteste ? Est-ce qu'elle ne me parlera plus jamais ? Est-ce qu'elle pense comme Ellie ? J'ai envoyé un message à Félix pour lui dire que j'avais fait son coming out, il m'a répondu brièvement qu'il était fier de moi, sans plus. Il devait être à la boxe. J'enfile une petite veste et suis ma mère jusqu'à la voiture. Tout est oublié et tout le monde a le sourire à nouveau, il en faut plus pour gâcher une journée que mon beau-père a planifié depuis des mois.

Fix meOù les histoires vivent. Découvrez maintenant