Chapitre 44

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Il est dix-huit heures trente. Je suis face à mon miroir. Les cheveux attachés du mieux que j'ai pu avec un millier de barrettes. Mais ça rend bien, mieux que je l'aurais pensé en tout cas. June est assise sur le meuble à côté du lavabo. Elle me regarde ajouter une dernière touche de mascara et me répète encore et encore à quel point je suis belle. Daisy ne devrait plus tarder. Je me parfume et me regarde une dernière fois avant de descendre. Mon père est en bas des marches, son portable en main.
— Attends bouge pas trop, ta mère va me tuer si je n'ai pas de belle photo de toi dans cette robe.
Il me demande de prendre différentes poses.
— Allez papa t'en a au moins une trentaine ! M'exclamais-je.
Je descends jusqu'au rez-de-chaussée et regarde l'heure. Elle va bientôt arriver.


Dix-huit heures quarante-cinq. Daisy n'est toujours pas là. Son portable ne répond pas, je commence à taper du pied. J'ai envoyé un message à Félix pour lui dire, il m'a demandé si je voulais qu'il vienne me chercher. J'ai refusé. Elle va arriver.


Dix-neuf heures. Je viens de recevoir un message de Daisy. « Je suis désolée, je n'y arrive pas. Excuse-moi. » Je suis assise sur les marches, effondrée. Mais je ne pleure pas. Je viens de passer deux heures à me maquiller, personne ne mérite que je gâche tout. Félix me demande si Daisy est arrivée. Je lui réponds qu'elle m'a posé un lapin. J'avais un doute, les gens au lycée commençaient à se douter de quelque chose. On était trop proches récemment et plusieurs fois nous avons failli nous faire prendre en train de nous embrasser. J'ai vu que ça l'inquiétait et qu'elle devenait distante. Mais je ne pensais pas que ça serait au point de me laisser tomber le soir du bal. Je commence à croire qu'elle ne changera peut-être jamais.
Mon père essaie de me consoler, il me dit que son message veut peut-être dire qu'elle a un problème de voiture où qu'elle a un empêchement. C'est gentil d'essayer mais je crois que rien n'arrivera à me remonter le moral. Un mois. Un petit mois et mon idylle est déjà fichue. Qu'est-ce que je croyais ?


Dix-neuf heures quinze. Félix est là.
— Je n'allais quand même pas laisser ma nouvelle cavalière aller au bal toute seule.
J'esquisse un sourire, il me tend la main. Je la prends. Il frotte son costume et me complimente sur la splendide robe que j'ai choisie. Je lui frappe l'épaule.
— Arrête de te complimenter par mon intermédiaire.
Il est très beau lui aussi, ses cheveux sont plaqués en arrière et son costume lui va parfaitement bien.
— Alors, on y va à ce bal ?
Je prends mon manteau et m'apprête à partir quand Félix s'adresse à mon père.
— Vous pouvez nous prendre en photo ? Ma mère sera ravie de me voir accompagnée finalement.
Mon père prend le portable de Félix et s'exécute. Il en prend une bonne dizaine. Félix passe son bras autour de moi et me demande de le suivre jusqu'à son carrosse. Mon père le stop net et lui demande :
— Alors, tu n'as jamais été gay ?
Félix secoue la tête, sûr de lui.
— Non monsieur, désolé.
Il s'apprête à lui demander de retirer son bras de mon épaule mais réalise que c'est ridicule.
— Passez une bonne soirée les jeunes.

Le trajet était silencieux, Félix a mis la musique pour combler le vide. Je n'avais pas trop envie de parler, je veux aller à cette soirée pour éviter de me morfondre mais honnêtement j'aurais été mieux au fond de mon lit. Je regarde mon portable toutes les dix secondes au cas où Daisy m'enverrait un message pour me dire qu'elle vient finalement me chercher. Elle sera là, à quelques mètres de moi sûrement encore plus belle que d'habitude et je ne pourrais pas danser avec elle où même lui dire à quel point je la trouve jolie. Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'elle a réagi comme ça ? Au dernier moment ?
La musique est si forte que nous l'entendons depuis le couloir. Je marche lentement, un peu stressée.
— Allez, on va passer un super moment ! Lance Félix. Et on a déjà raté une trop grosse partie déjà !
Il me tire jusqu'aux portes insistant pour que j'entre plus rapidement.
— Sacha !
Je me raidis instantanément. Je n'aime pas le ton avec lequel mon prénom vient d'être prononcé. Félix s'arrête lui aussi, il regarde au-dessus de mon épaule et fronce les sourcils avant de s'approcher de moi. Je me tourne et vois Arthur, furieux. Il est accompagné de Jamie et Léonard. Je me frotte le bras, nerveuse. Je crois savoir pourquoi il est en colère.
— C'est vrai ?
Je m'avance d'un pas pour lui expliquer. Mais il avance aussi et ne semble pas vouloir m'écouter.
— Alors c'est vrai. Tu te tapes ma copine.
Je ne vais pas lui dire qu'il ne s'agit plus de sa copine parce qu'il va s'énerver encore plus.
— Ce n'est pas ce qu'il...
Je ne dois rien à Arthur, après tout on n'est pas amies. Et je n'y peux rien si Daisy et moi on a craqués l'une pour l'autre.
— Je n'en ai rien à foutre de ce que t'as à me dire.
Il marque une pause, le regard plein de dégoût.
— Lesbienne de merde, crache-t-il.
Je suis tellement choquée par sa réaction que j'ouvre grand la bouche mais je ne sais plus quoi dire. Félix avance d'un pas et se place devant moi.
— Mec t'es énervée ok, mais fais attention à ce que tu dis.
Arthur se fiche éperdument de ce que Félix raconte. Je comprends mieux ce que Daisy voulait dire quand elle m'a expliqué qu'elle ne voulait pas que sa colère retombe sur moi. Là tout de suite, j'ai un peu peur.
— Tu sais quoi Sacha Anderson ? T'es qu'une petite garce de merde et tu ne mérites rien de mieux qu'une autre garce de merde comme Daisy. Vous me dégoûtez.
Je serre la mâchoire et tente tant bien que mal de ne pas répondre, ça ne servirait à rien. Il est en colère, il a juste envie de me blesser.
— Va te faire foutre Arthur, répond Félix.
Mon ami me fait signe de faire demi-tour et d'aller dans la salle de bal.
— Peut-être que si Félix avait été capable de te baiser correctement tu ne te serais pas tourné vers les filles, lance finalement Arthur fier de lui.
Je fais volte-face, il est allé trop loin. Et dans ses propos envers moi et Daisy mais maintenant envers Félix qui n'a rien demandé.
— Et bah tu sais quoi ? Peut-être que si t'avais été capable de mieux baiser Daisy elle ne t'aurait pas largué pour une fille !
Je sais c'est bas, très bas. Mais trop bien lancé. Je n'aurais pas pu me taire avec la perche qu'il m'a tendu. Et putain ça fait du bien de répondre parfois. Léonard et Jamie ricanent ce qui humilie encore plus Arthur qui réagit de la pire façon possible. Il s'avance comme une furie vers moi près à me frapper. Je ferme automatiquement les yeux et place mes mains devant mon visage. Mais Félix se met entre nous et intercepte son coup qu'il se prend en plein visage. Il ne se laisse pas démonter et lui rend immédiatement. Tout va trop vite et je ne saurais pas dire comment c'est arrivé mais Félix est tombé sur moi en se prenant la droite d'Arthur et son coude à atterri en plein dans mon visage. Je sens une violente douleur au coin de mon œil. Je tombe au sol. Et c'est à ce moment que j'entends des talons claquer sur le sol. Daisy se retrouve à genoux à côté de moi à me demander comment je vais. Je lui demande d'arrêter Arthur et Félix qui heureusement n'ont pas été trop loin. Daisy hurle sur Arthur et l'insulte de tous les noms, tapant du pied de colère. Félix se relève et défroisse sa chemise, il s'essuie la lèvre en sang et crache par terre avant de s'approcher de moi.
— Vaut mieux que je me casse, lance le grand blond.
Il part de l'autre côté du couloir en lançant un regard noir à Félix.
— Oui il vaut mieux, avant que mon père apprenne que tu as frappé deux élèves dans son établissement, menace Daisy.
Elle sait être persuasive et Arthur ne dit pas un mot de plus. Je me tiens contre le mur, bordel ça fait vraiment mal. Daisy se précipite vers moi et prend mon visage entre ses mains.
— Oh mon dieu je suis désolée. C'est exactement ce que je voulais éviter ce soir. C'est ce que je craignais.
Je me dégage de ses mains et grimace.
— Je voulais t'expliquer...Arthur est passé chez moi me demander d'être sa cavalière ce soir. C'en était trop et j'ai décidé de tout lui dire, pour nous deux. Il était si en colère que j'ai moi-même hésité à venir ce soir. Il a juré que s'il nous voyait ensemble il peterait un câble. Et tu vois ce que ça a donné...
Elle aurait pu m'expliquer ça, elle aurait pu me dire la vérité. Mais non, elle a à nouveau joué à faire sa Daisy a simplement changer d'avis et me laisser comme une idiote. Comme à chaque fois.
— Appel moi quand tu pourras assumer entièrement ce qu'on est sans avoir peur des répercussions, dis-je en m'éloignant.
Je suis en colère contre elle. Parce que j'ai fait le truc qui me terrifiait le plus au monde et elle n'est pas capable d'être honnête avec elle-même et les autres à cent pour cent. Je file jusqu'aux toilettes pour regarder de quoi j'ai l'air. Je n'aurai jamais dû venir ici ce soir. Lorsque je me place devant le miroir je remarque que je suis un peu rouge, sans plus. Pourtant j'ai eu vraiment mal. Qu'est-ce que ça doit être de se prendre un vrai coup ? Félix me suit de près. Me demandant comment je vais.
— Je ne sais pas. Je passe une des pires soirées de ma vie en fait.
Je ris nerveusement.
— Daisy semble vraiment mal tu sais.
Je lève les yeux et souffle. J'aimerai que Félix soit de mon côté là tout de suite.
— Tu penses que je me suis sentie comment quand elle m'a posé un lapin ?
Il se tait et s'approche de moi. Je me tourne dos au miroir et lui demande si c'est toujours si compliqué d'aimer les gens.
— Je ne sais pas. Ça a l'air. Et on a que dix-sept ans.
Ça me désespère. Je m'avance et m'assied contre le mur. Félix vient s'asseoir à côté de moi. Je pose ma tête sur son épaule et il pose sa tête sur la mienne.
— Je crois que c'est toi ma plus belle histoire, avouais-je, même si on est juste amis. Tu es le meilleur que j'ai jamais eu.
Je le sens sourire, mais il est trop gêné pour dire quoi que ce soit. Alors je désamorce toute seule la situation.
— Je n'ai pas vraiment d'autres amis de toute façon.
Il joue l'offenser et me donne un petit coup dans l'épaule.
— Allez, on ne se laisse pas abattre. Une danse et on rentre ok ?
Je lui dois bien ça, il s'est pris un coup pour moi. Encore.
— Laisses moi cinq minutes, j'arrive.
Il se lève et désigne la montre qu'il ne porte pas.
— Cinq minutes, pas plus !
Je me regarde à nouveau dans le miroir et respire lentement. J'en ai assez d'être dure avec moi-même. En quatre mois j'ai accompli un tas de trucs. J'ai réussi à comprendre qui j'étais vraiment et à m'assumer, j'ai affronté la peur intense que j'avais que ma famille me déteste, j'ai assumé ce que j'étais et qui j'étais jusqu'au bout, j'ai tenu tête à des gens qui me voulaient uniquement du mal, j'ai découvert que certaines personnes tenaient réellement à moi. Et finalement, je suis tombée amoureuse. Je ne sais pas vraiment si c'est une bonne chose au final, mais ça vaut le coup d'être vécu. Alors je ne vais pas m'empêcher d'aller danser à ce foutu bal de noël après tout ça. Je marche jusqu'à la salle, sûre de moi, comme si le lycée entier m'appartenait et pousse les portes de la salle. Tout est si joliment décoré, ils ont dû y passer des heures. Des centaines d'élèves se déchaînent les uns sur les autres. Félix n'est qu'à quelques pas de l'entrée. Il me tend la main que je prends pour aller sur la piste avec lui.
Je suis face à mon meilleur ami, qui me démontre ses meilleurs pas de danse. Il n'est pas très doué en vérité. Il tourne la tête toutes les deux minutes vers le dj, comme s'il attendait quelque chose de spécial.
— Si le DJ te plaît je peux aller lui demander son numéros pour toi tu sais ?
Il me traite d'idiote et me fait tourner sur moi-même. Puis, la musique se coupe. Tout le monde se tourne face à l'estrade où la musique se trouve. Daisy s'y trouve, avec un micro.
— Bonsoir tout le monde.

Qu'est-ce qu'elle fiche là-haut ? Félix me regarde longuement, signe qu'il sait très bien ce qu'elle y fait. Je lui demande de me dire ce qu'il se passe mais il me répond que je dois juste attendre.
— Je m'appelle Daisy. Et je ne vous couperai pas longtemps. Promis.
Les gens ne la sifflent pas, ils sont tout aussi attentifs que moi, ils veulent savoir ce qu'elle va dire.
— Alors voilà. Je voulais vous dire que je suis amoureuse.
Des gens se mettent à l'applaudir.
— Non c'est pas ça le plus cool de l'histoire ! Coupe-t-elle.
Ne me dites pas qu'elle va faire ce que je pense qu'elle va faire.
— Elle s'appelle Sacha. Et elle est la fille la plus extraordinaire qu'il m'ait été donnée de rencontrer.
Je regarde tout le monde, certaines têtes se tournent vers moi. J'ai peur que quelqu'un sorte une tomate pourrie de quelque part et la jette sur elle. Je sais que les probabilités sont faibles. Mais quand même.
— Et j'ai pas toujour assuré avec elle, même pas du tout. Et cette soirée fait partie des moments où j'ai merdé.
Elle réalise qu'elle a dit un gros mot et passe la main sur sa bouche avant de s'excuser.
— Alors je voudrais juste pouvoir dire devant tout le monde ce que je ressens.
Elle me trouve au milieu des gens et me fixe.
— Je t'aime Sacha Anderson, tu veux bien m'accorder cette danse ?
Je jure devant dieu que si « Perfect » d'Ed Sheeran se met en route je...
« I found a love for me, Darling just dive right in... »
— Je déteste cette chanson, chuchotais-je à Félix.
Il me sourit et me pousse un peu.
— Tu vas devoir faire semblant de l'apprécier pendant trois minutes.
Les regards sont fixés sur moi. Évidemment je compte accepter. Je suis mal à l'aise mais Daisy vient de me faire une des plus belles preuves d'amour qui puisse être. Je hoche alors la tête et une grosse partie des élèves se mettent à hurler face à ma réponse. Daisy descend de l'estrade et me rejoint. Très vite, tout le monde a trouvé un cavalier pour danser un slow.
— Je suis encore désolée, dit-elle en s'approchant un peu plus.
Je pose mes mains sur ses hanches. Sa robe rose est magnifique et elle l'est encore plus. Daisy était vraiment la chose qui me manquait.
— Je t'aime aussi Daisy Colman.

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