Chapitre 8

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Je mets quelques secondes à me souvenir de l'endroit où je me trouve. Ça faisait un moment que je ne m'étais plus réveillée dans cette chambre. Il est neuf heure et demie. J'entends ma sœur brailler je ne sais trop quoi en bas. Mes yeux me piquent, j'aurai bien dormi une heure ou deux de plus. J'ai parlé avec Daisy jusqu'à trois heures du matin cette nuit. Je ne sais pas comment j'ai réussi à tenir jusque-là mais notre conversation était trop intéressante. Elle m'a raconté un tas de trucs sur elle, la façon dont ses parents se sont rencontrés, son premier mot et son film préféré. Moi j'ai parlé de mes sœurs, d'Ellie, de ma mère et aussi de mon film préféré. On se racontait parfois des trucs qui n'avaient d'ailleurs aucun sens à cause de la fatigue mais je me suis surprise à sourire devant ses messages. Parfois il ne vaut pas grand-chose pour être heureuse visiblement.

Après avoir déjeuné en tête à tête avec ma mère et ma sœur, elles ont décidé d'aller se balader. J'ai renoncé à les suivre. Ma mère adore se balader mais moi non, si je pouvais juste me déplacer en me téléportant je le ferais. Après avoir enfilé des vêtements propres je suis allé dans la salle de bain faire quelque chose de mes cheveux. Au même moment, mon portable s'est mis à vibrer. Une réponse de Nora.

De : Nora.
Moi aussi tu me manques, vous me manquez. Tout va bien ?

Pourquoi a-t-il fallu que ma sœur tombe amoureuse de New-York ?

À : Nora.
Tout va bien, on passe le week-end chez maman donc je pensais à toi, c'est tout.

Je repose mon portable et branche mon fer à lisser. Essayant de dompter les petites bosses que mon oreiller a causées. La porte d'entrée claque, signe que ma mère et June sont revenus à la maison. Je les rejoins et ma mère me propose de l'aider à cuisiner pour ce midi. J'accepte volontiers et June fuit avant que ma mère ne le lui propose aussi. Elle a allumé la télé et s'est plongée dans un dessin animé. On risque d'être tranquille pendant un moment. Je me lave les mains et prends les légumes que ma mère vient de passer sous l'eau pour les couper.
— Et entre Éric et toi, tout se passe bien ?
Un sourire fend toujours ses lèvres quand je parle de lui.

— Vous avez pensé à genre vous mariez ou à avoir des enfants ?
Elle éclate de rire, comme si je venais de dire la chose la plus absurde du monde. Alors que je suis très sérieuse.
— Mais enfin ma chérie, on a passé l'âge pour tout ça.
D'accord, avoir des enfants ne serait peut-être pas l'idée du siècle. Surtout avec l'emploi du temps super chargé de ma mère. Mais un mariage...
— Tu ne veux pas te remarier ?
Elle pose son saladier.
— J'ai été marié à ton père pendant plus de vingt ans et on a fini par divorcer. Ça a engendré beaucoup de paperasses, beaucoup d'argent et de temps.
Je pose le couteau, légèrement inquiète.
— Tu ne comptes pas te séparer d'Éric de toute façon ?
Elle me sourit, amusée. Je suis pourtant toujours aussi sérieuse.
— Non, justement. Je suis très heureuse et nous n'avons rien besoin de plus.
Après tout pourquoi pas, je ne suis pas comme ma sœur Lizzie, qui pense qu'il faut absolument se marier et fonder une famille pour être heureux.
— Et toi ? Demande-t-elle. Tu penses à ce genre de choses ?
Je hausse les sourcils, je ne suis pas majeur et je n'ai jamais eu aucune relation amoureuse alors penser au mariage et aux enfants...

— Peut-être, je ne sais pas...
Je ne me vois pas tenir la main d'un homme et prononcer des vœux devant toute ma famille. Ça serait juste... trop bizarre. Mais peut-être que oui, j'aimerais bien être lié à quelqu'un pour la vie, je crois que le principe est vraiment romantique

Je trépigne devant la porte de mon amie. Je viens de la prévenir que je suis devant chez elle et il ne fallut pas beaucoup de temps avant que la porte s'ouvre. Elle est essoufflée, signe qu'elle a dévalé les marches dès la réception de mon message. Ses cheveux bouclés lui tombent sur le visage et un immense sourire l'habille. Elle me serre si fort contre elle que j'ai peur de ne plus pouvoir respirer. Elle n'arrive pas à arrêter de sourire et je crois que moi non plus. J'entre immédiatement à l'intérieur et passe saluer rapidement ses parents avant de suivre Ellie jusqu'à sa chambre. Évidemment rien n'a changé : les murs beiges sont toujours recouverts d'un million de photo, son ordinateur portable ouvert sur son bureau et son chat couché sur son lit.
— Raconte-moi TOUT, s'extasie-t-elle.
Elle me regarde de haut en bas.
— Je n'arrive pas à croire que t'es là, j'ai l'impression qu'on ne s'est pas vu depuis soixante-dix ans.
Elle sourit de toutes ses dents.
— Oh, j'adore tes chaussures !
Elle parle si vite que j'ai du mal à suivre. Je n'ai pas grand-chose de nouveau à lui raconter. Alors je lui lance le même discours qu'à mon père, Libby, ma mère...Je parle de mon lycée, des profs et je finis par mentionner Felix. Et comme je l'attendais, elle me demande de lui montrer une photo. Je tape son nom sur Instagram et lui montre son profil. Elle me prend le portable des mains et écarquille les yeux.
— Wow, il est super CA-NON.
Elle fait défiler les photos en pointant chacun des atouts physiques de Félix
— Tu vas tenter ta chance ?
Elle me prend par surprise, je n'ai pas du tout prévu de parler de ça. On est amis avec Felix, rien de plus. Je crois.
— Non, je ... enfin non.
Elle roule les yeux et me rend mon portable.
— Si tu ne le fais pas, je le fais.
Je fronce les sourcils. Elle ne le connaît même pas, et ils vivent à une heure de route l'un de l'autre, qu'est-ce qu'elle raconte. Ellie s'allonge à côté de son chat, ses cheveux blond clair s'éparpillent sur sa couverture. Elle regarde le plafond en me parlant encore de Félix. Je savais que je n'aurais pas dû amener le sujet des garçons, c'est toujours la même chose avec elle...
J'essaie de changer de conversation et mentionne Daisy.
— Tu es pote avec la fille du directeur ? Fayotte.
Comme si c'était mon genre.
— Je ne savais pas qu'elle était la fille du directeur quand on s'est rencontrées. Il y a un tas de trucs qu'elle prend grand soin d'omettre d'ailleurs.
J'aurai peut-être dû me retenir de dire la dernière phrase, la curiosité d'Ellie a directement été piquée. Elle se rassoit immédiatement, prête à en entendre davantage.
— Qu'est-ce que tu veux dire par « un tas de trucs » ?
Elle s'attend très probablement à ce raconte des trucs croustillants, mais je n'ai rien de ce genre en stock.

— Le fait qu'elle n'ait pas mentionné son copain avant que ça soit vraiment nécessaire ou encore de me dire qu'elle était bi.
Je sais que les gens n'ont pas à s'exprimer quant à leur sexualité, mais j'ai toujours l'impression qu'elle n'omet pas les choses innocemment. Je ne sais pas pourquoi ça m'agace autant en fait, je devrais en avoir rien à faire. Après tout ce n'est pas comme si ça changeait grand-chose.
— Attends quoi ? Elle est bi ? Genre elle aime les filles et les garçons ?
Je hoche la tête, doutant moi-même de la définition du mot en voyant sa surprise.
— Mais elle a un copain ?
Je hoche à nouveau la tête, concentre toi un peu Ellie c'est exactement ce que je viens de dire.
— Encore une fille qui veut se donner un genre. Dire qu'elle aime les filles pour finalement sortir avec un garçon... C'est pour l'attention.
Je trouve la remarque de mon amie complètement stupide, mais je ne lui dis pas. Je n'ai pas envie de la contrarier, de toute façon elle ne voudrait rien entendre. Elle se tourne soudainement.
— Fais attention peut-être qu'elle est amoureuse de toi, ajoute-t-elle l'air de rien.
Je secoue la tête.
— Je viens de te dire qu'elle avait un copain, rappelais-je. Et puis ce n'est pas parce qu'elle est intéressée par les filles qu'elle va me sauter dessus.
Elle hausse les épaules et s'allonge à nouveau à côté de son chat.
— Peut-être que c'est pour ça qu'elle t'a caché l'existence de son copain.
Elle se met à rire pour me taquiner.
— A ta place je ferais attention. Genre ne te déshabille pas à côté d'elle.
Ellie ne réfléchit pas toujours avant de parler. Et je sais bien qu'elle ne cherche pas à être méchante mais elle va un peu loin. Je ne réponds pas mais mon regard traduit très bien ce que j'en pense.
— Oh rigole Sacha ! Depuis quand tu défends la cause lesbienne ?
Je ne sais pas si ce n'était pas mieux qu'on parle de Felix en fait.
— Je ne défends rien du tout, d'ailleurs je n'ai rien dit.
Je vois son visage se fermer, elle tourne la tête et ne me regarde pas. Ça y est, elle est vexée. Je m'allonge à côté d'elle.
— Ellie ?
Elle ne répond pas. Ça y est j'en ai pour un moment. Pourquoi a-t-il fallu que j'ouvre ma bouche et que je gâche nos retrouvailles ?

Je viens de rentrer. Après une trentaine de minutes Ellie s'est remise à me parler, comme si de rien était. Elle m'a montré un truc qu'elle venait de voir sur Instagram et j'ai plongé directement pour couper le froid glacial qui s'était installé entre nous. C'est souvent comme ça avec Ellie, j'ai fini par m'habituer. Lorsque j'entre, ma mère a déjà préparé le repas, avec l'aide de June. Ma petite sœur a hâte de me faire goûter à sa spécialité. Et moi j'ai un peu peur.

Bon, je retire ce que j'ai dit, le repas est excellent. Je devine que ma mère a fait les trois quarts et que ma sœur s'est surtout contentée de mélanger. Mais elle gagne un point pour l'effort.
— J'aimerais bien savoir aussi bien cuisiner que toi maman, souffle June, j'impressionnerai Libby comme ça.
Ma mère me lance un regard en coin.
— Tu n'as pas besoin d'impressionner qui que ce soit, reste toi-même, dis-je à ma petite sœur.
Elle ne se contente pas de ma réponse et ajoute que Libby sait tout faire et qu'elle aimerait bien être comme elle plus tard. Ma mère le cache mais je sais que ça la blesse. Je me retiens de rabaisser ma belle-mère pour lui montrer qu'elle n'est pas mieux que notre mère mais ça serait bas de ma part de rabaisser quelqu'un pour faire valoir l'autre. Alors je me contente de prendre un autre exemple.
— On est tous différents June, Libby n'est pas comme les autres mamans. Tout comme Cathy n'est pas comme nous.
Libby ne se tait jamais à propos de sa super fille parfaite et June se demande vraiment ce qu'elle a de si géniale.
— Mais peut-être que Cathy est vraiment parfaite, qu'elle est beaucoup mieux que nous.
Je souffle, ne sachant pas quoi ajouter.
— Vous êtes toutes parfaites, à votre façon mon chaton.
Ma mère l'a fait taire en une phrase, simple mais efficace. Elle a toujours fait ça. Nous dire des choses ordinaires qui pourtant raisonnent un moment dans notre esprit. J'aime ma mère, elle n'est pas parfaite. Elle travaille beaucoup, elle fait des erreurs et elle est parfois maladroite. Mais elle fait toujours de son mieux, et c'est ce qui compte pour moi.

Fix meOù les histoires vivent. Découvrez maintenant