Fix me

Chapitre 12

J'ai passé une bonne partie de la nuit à tourner dans mon lit. J'ai besoin de comprendre. Mettre des mots sur ce que je ressens. Je suis un peu perdue et j'ai peur. J'ai peur parce qu'un tas de choses contradictoires se passent dans ma tête. D'accord j'ai toujours été un peu perdue à ce niveau-là, mais ce qu'il s'est passé hier soir m'a pour le moins éclairée. Je devrais peut-être voir la réalité en face. Ce n'est pas la première fois que je me pose la question, ni la deuxième d'ailleurs. Il y a trois ans et demi j'ai vu le film « sexe intention ». Et à l'époque je m'étais demandé pourquoi j'avais ressenti plein de papillons en bas de mon ventre pendant la scène où Kathryn et Cécile s'embrassaient. Ellie avait trouvé ça dégoûtant, elle ne voyait que le long fil de bave qui liait leurs deux bouches. Et Sebastian était la seule chose qui l'intéressait de toute façon. Peut-être que je me sens comme ça parce que je n'avais jamais embrassé personne auparavant ? Où peut-être que Daisy te fait de l'effet Sacha.
Non. Daisy est super sympa et très jolie mais... C'est la petite amie d'Arthur. Je ne sais pas pourquoi je pense à ça, je devrai plutôt penser à vendredi soir et à ...
— Tu m'évites Sacha ?
Félix.
— Si je voulais t'éviter tu ne m'aurais pas retrouvé, assurais-je.
Il vient de surgir de nulle part et a déjà son bras autour de mes épaules. Pourquoi est-ce qu'il a besoin d'être si tactile ?
— Très amusant ! C'est toujours bon pour vendredi soir ? J'ai trouvé un film super.
Dis non, trouve une excuse, mens, n'importe quoi, mais refuse.
— Oui, pas de soucis, je t'enverrai mon adresse.
Note à moi-même : Avoir un peu plus de courage.
Félix me signale qu'il doit partir, son cours de sport commence dans moins de dix minutes, il va finir par être en retard. Je le laisse partir et souffle, presque soulagée.

J'attends que Nora décroche. J'ai déjà essayé de l'appeler hier mais elle était à un repas avec des amis. Scott répond enfin.
— Salut Sacha, ta sœur m'a demandé de répondre parce qu'elle a dit que t'allais la tuer si elle te laissait encore en suspens.
Bien vu Nora.
— Elle est occupée ?
Ma sœur apparaît en fond de vidéo, le chat dans les bras.
— J'arrive dans deux minutes !
Scott m'explique qu'elle essaie encore de lui faire comprendre comment la litière fonctionne.
— Tu vas bien ? Demande-t-il finalement.
J'ai rencontré Scott quand il est venu emménager en face de chez ma mère il y a quelques années. C'est le grand frère de Roméo et donc nos familles sont devenues amis assez rapidement. Nora est tombée amoureuse de lui et vous connaissez la suite. Il a toujours été quelqu'un avec qui j'aimais parler même avant que ma sœur et lui soient ensemble. Il est très empathique et aime bien écouter les gens. Je pense que c'est parce qu'il a vécu un tas de trucs compliqués tout au long de sa vie. Il est toujours resté assez secret à ce sujet et j'ai respecté ça. Peut-être que je pourrai lui parler de Daisy.
— Eh Sacha ! Désolée, le chat a encore fait pipi sur le lit.
Trop tard ma sœur a pris le téléphone et voilà que Scott me souhaite bonne soirée et disparaît. Elle est resplendissante, comme toujours. Je me souviens avoir passé des années à souhaiter lui ressembler. Je la revois se préparer dans notre chambre et me dire que j'avais hâte d'être aussi belle qu'elle plus tard. Malheureusement on n'a pas vraiment hérité des mêmes gènes.
— J'ai besoin de conseils.
Je ne sais pas par quoi commencer, Félix qui m'invite à sortir ou le baiser que j'ai échangé avec Daisy. Et surtout, est-ce que je parle de l'effet que ça m'a fait ressentir ? Je ne sais pas si j'ai vraiment envie de lui dire, je ne sais pas si je serai capable de le dire à haute voix tout court d'ailleurs. Elle s'allonge sur le ventre et m'écoute attentivement.
— Tu vois y'a ce garçon Félix qui m'a demandé de sortir avec lui vendredi soir.
Nora ne cache pas sa surprise et je suis presque vexée qu'elle soit si étonnée qu'un garçon veuille sortir avec moi.
— Arrête de faire cette tête, dis-je froidement.
Ma sœur essaie de récupérer un visage neutre mais c'est trop tard.
— Non c'est juste que... Non raconte. Ça te stresse ? Tu l'aimes ?
J'ai plus envie d'en parler. Je sais que Nora est très expressive, elle ne le fait pas exprès. Mais là j'avais besoin qu'elle me soutienne et qu'elle me booste. Maintenant je me sens nulle. J'ai encore moins envie de parler de ce qu'il s'est passé avec Daisy. De toute façon, elle ne comprendrait pas tout ça.
— Je dois y aller désolée, Libby m'appelle pour manger.
— Sacha attend !
Mais je raccroche. Je repose le portable à côté de moi et ma sœur n'essaie pas de me rappeler. Je sais que ce n'est pas sa faute. Je crois que je suis à fleur de peau et que je cherchais juste une excuse pour ne pas parler de tout ça.
À table, Libby parle de Cathy et de ses études. Ça en devient lassant. J'imagine que notre mère parle de nous avec autant de fierté, mais Cathy me fatigue à travers sa mère avant même de l'avoir rencontrée.
— D'ailleurs elle va venir durant quelques jours en octobre, j'aimerais bien que ça soit pendant que les filles seront là ! Qu'elles se rencontrent enfin, propose-t-elle.
En voyant la mère, je n'ai aucune envie de rencontrer la fille. Mais peut-être qu'elle sera tellement obnubilée par elle qu'elle sera moins casse pied.
— Ça serait super, ajoute mon père.
Je regarde ma petite sœur qui est bien trop intéressée par ses petits pois pour prendre part à la conversation.
Je sors de la douche. En sous-vêtements devant le miroir, je me regarde. Ma peau blanchâtre, ma poitrine presque inexistante, mes longues jambes maigres. J'avance d'un peu plus près pour voir mon visage. Mes yeux marrons ne transmettent aucune émotion, mes cheveux roux ternes feraient honte à toutes ces stars hollywoodiennes qui ne jurent que par leurs chevelure couleur feu. Quand je vois ma mère : cette brune voluptueuse, ses longs cheveux noirs épais, sa peau qui bronze au moindre rayon de soleil, ses yeux si foncé qu'on croirait tomber dedans à chaque fois qu'on la regarde. Nora et June ont tellement de chances de lui ressembler. Elizabeth répète sans cesse qu'on ne joue pas dans la même cour. Qu'il y a notre mère et nos deux sœurs. Et nous. Les visages pâles aux cheveux clairs. Mais encore une fois je ne ressemble même pas à Lizzy. Elle a une épaisse chevelure blonde, aucune tache de rousseur, des formes semblables à celle de notre mère et des yeux claires magnifiques. Comme papa. Je secoue la tête et enfile mon pyjama.

Je traîne à nouveau sur mon portable, Daisy vient de mettre une photo d'elle et Arthur, encore. Je ne m'attarde pas dessus. Ellie a mis la photo de la main d'un garçon. Je commente directement « tu n'as pas quelque chose à me raconter ? » j'espère qu'elle n'a pas mis une photo trouvée sur internet pour rendre jaloux son nouveau crush du moment. Je m'arrête ensuite sur une photo de Félix, c'est une photo qui date visiblement de cet été. Il est à la plage avec une femme plus âgée, très probablement sa mère. Ses petites bouclettes virevoltent à cause du vent et il expose son grand sourire. En dessous la photo est écrit « l'unique chose qui a vraiment de l'importance ». Sa mère est très belle, elle a le teint hâlé comme lui, mais elle est blonde. Elle semble avoir une quarantaine d'années maximum et elle a exactement le même sourire que lui. Je réalise que je ne sais pas grand-chose de Félix, je ne sais pas s'il a des frères et sœurs. Je ne connais pas sa couleur préférée, ni ce qu'il aime dans la vie (à l'exception de la boxe). Je sais qu'il est bon en algèbre, que madame Wood le connaît bien, qu'il a des amis stupides et qu'il est sympa. C'est tout. Et pourtant je sais que c'est un garçon génial, je ressens quelque chose de différent. J'ai l'impression qu'il n'y a pas une once de malhonnêteté en lui, pas de méchanceté. Malgré ses côtés lunatiques qu'il a su montrer. Et c'est ça le pire, je sais que demain il y aura ce petit truc entre nous qui va se briser. Que je vais tout gâcher. Qu'on va tout gâcher. Et ça me rend triste. Félix mérite qu'une fille tombe amoureuse de lui, éperdument. Mais je sais que cette fille ce n'est pas moi, ça ne peut pas être moi. Et le blesser est la dernière chose que je souhaite.

Vendredi. Le jour J. Félix est venu manger avec moi ce midi. J'ai fait en sorte de ne pas laisser paraître mon stress devant lui, j'agis comme si de rien était. Il semble vachement excité. Et ça me rend encore plus mal. Arthur et les autres ont passé le repas entier à nous lancer des vannes. C'était vraiment fatiguant. Mais Félix m'a demandé de laisser passer. Je viens de recevoir un message d'Ellie.

De : Ellie.
Pour la photo, hier. Il faut que je te raconte...

Enfin une réponse, j'ai vraiment cru qu'elle me ghostait.

À : Ellie.
Oui je crois aussi.

Je pose mon téléphone et commence à poser des questions à Félix, sur lui, sa famille.
— Tu as des frères et sœurs ?
Il secoue simplement la tête.
— La femme sur la photo que tu as posté hier, c'est ta mère ?
Il opine. Ok il ne veut pas me parler de lui où c'est une idée ? Il n'est pas du genre timide d'habitude.
— T'es un agent du FBI sous couverture pour être aussi évasif sur ta vie ? Plaisantais-je.
Il finit sa bouche.
— Ok madame curieuse.
Il prend une grande inspiration.
— Je suis fils unique. Ma mère est tombée enceinte de moi à la fac, je ne connais pas mon père, il n'a pas assumé alors ma mère s'est débrouillée toute seule. D'ailleurs elle a plutôt bien géré parce que maintenant elle est avocate à l'international.
Il ne veut pas qu'on ait pitié de lui, au contraire, il pointe le fait que sa mère soit devenue quelqu'un d'important malgré tout.
— Si elle est avocate à l'international ça veut dire qu'elle voyage beaucoup ?
Il hoche à nouveau la tête.
— Elle est à la maison deux jours par semaine en moyenne. Parfois plus, parfois moins. Ça dépend de ses affaires.
Je réalise qu'on a beaucoup plus de points communs qu'on ne l'aurait imaginé avec Félix. L'histoire de sa mère et puis son absence due à son travail...
— Du coup tu es seul ?
Il sourit.
— Non, tu es malade. Ma mère refuserait catégoriquement de me laisser, moi, son ado de fils sans surveillance. Je n'ai pas toujours été le garçon sage que tu connais tu sais.
Il me fait un clin d'œil. C'est vrai que Félix semble être un garçon discret et bon élève. Mais madame Wood a mentionné des absences à répétition et ne semblait pas franchement ravie de l'avoir à nouveau dans sa classe cette année. Peut-être qu'il cache son côté Bad boy derrière son sourire charmeur. Après tout, son meilleur ami c'est quand même Arthur Wagner.
— Alors tu vis avec qui ?
— Mon beau-père.
Il change ensuite de sujet et je me contente donc des réponses qu'il m'a donné.

Je marche jusqu'au parking, Félix vient me chercher à vingt heure devant chez moi. Ça me laisse le temps de commencer mes devoirs, manger, prendre ma douche et m'habiller. Je suppose que je n'ai pas d'efforts spécifique à faire pour aller au cinéma (et mettre un vent à mon ami). Daisy marche à côté de moi.
— Alors c'est ce soir ton rendez-vous ?
Je hoche la tête, si elle pense que notre baiser à fait retomber mon stress elle est à mille lieux d'imaginer que ça a encore plus tout compliqué dans ma tête.
— Tu me racontera comment ça s'est passé ?
Je fronce les sourcils.
— Ça t'intéresse vraiment ?
Elle sourit et secoue la tête, comme si je venais de dire quelque chose de stupide avant de poser sa main sur mon épaule.
— Bien sûre, on est amies non ?
J'esquisse un sourire à mon tour.
— Oui, amies.