Chapitre 38

37 3 0
                                    

Edward ordonne à Félix de remonter dans sa chambre, lui disant qu'il doit finir de préparer ses affaires pour la clinique.
— Non, souffle Madame Grant en demandant à son fils de venir plus près.
Félix regarde son beau-père du coin de l'œil, puis il me voit et je jure voir une forme de soulagement sur son visage.
— Je vis un putain d'enfer depuis presque dix ans.
Il s'approche de nous, sûr de lui, il n'a pas peur. Il sait que ce n'est plus juste sa parole face à celle d'Edward.
— Ça a commencé par des remarques, puis des coups un peu violents à la boxe et petit à petit ça a pris une plus grande ampleur. J'étais très souvent puni, pour rien. Les cours de boxe devenaient des combats réels.
Madame Grant a les yeux remplis de larmes.
— J'ai fait n'importe quoi parce que j'étais malheureux et parce que j'avais peur. Je suis désolé.
Il déglutit.
— Edward est un monstre, au point d'avoir peur de rentrer à la maison chaque soir après les cours. Au point de prendre des médicaments pour ne pas sentir la douleur pendant les combats de boxe, au point d'être misérable quand je sors avec mes amis pour oublier ce qui m'attend quand je rentre ici, à la maison.
Madame Grant passe sa main devant sa bouche, horrifiée par ce qu'elle entend.
— Anna tu ne vas pas le croire quand même...
Elle serre le poing et serre la mâchoire.
— Tais-toi, dit-elle en direction d'Edward.
On peut voir à son visage qu'elle se retient du mieux qu'elle peut pour ne pas l'insulter. Il commence à lancer des injures en disant que la situation est complètement stupide et que Félix manipule sa mère pour ne pas aller en clinique. Félix fait volte face, il en a assez et aujourd'hui enfin il peut tout dire.
— Et ça putain, dit-il en relevant son t-shirt, c'est moi qui me le suis fait ?
Un énorme hématome recouvre le côté droit de sa poitrine.
— Et les points de sutures que j'ai eu à l'arcade l'an dernier ? Et la côte que tu m'as fêlée y'a deux ans ? Tous ces trucs que tu m'as juré de ne pas dire à maman.
Il ouvre la bouche, en colère, mais Félix l'interrompt.
— Et ne t'avises pas de dire que c'est à la boxe parce qu'à ce compte-là toute cette putain de maison était un ring.
Il tremble, les veines de ses bras sont apparentes. Je sais qu'à tout moment ils peuvent en venir aux mains. Je m'approche de lui et lui prend le bras.
— C'est fini Félix, tout est fini, soufflais-je.
Edward lance que Félix n'est qu'un putain de junkie et que les fois où il a été trop loin c'était nettement mérités.
— Sors de chez moi, lance Anna d'une voix sèche.
— Non mais tu ne vois pas qu'il...
— Sors de chez moi où j'appelle les flics, hurle-t-elle hystérique.
Mon père avance d'un pas pour rappeler à Edward qu'il n'a pas à faire qu'à un homme ce soir, mais deux. Il prend son manteau et cherche ses clés de voiture. Anna s'approche de lui, tremblante.
— J'ai passé neuf ans et demie de ma vie avec toi, à te faire confiance, je t'ai confié la chose la plus précieuse à mes yeux.
Elle s'arrête prête à éclater en sanglots et reprend une voix normale.
— Tous ces bleus, tous ces regards, tous ces cauchemars... Tu m'assurais que tu considérais Félix comme ton propre enfant et que tu veillais sur lui. Je pensais que tu avais raison, qu'il se retrouvait dans des plans bizarres à cause de la drogue, qu'il ne voulait pas nous en parler, qu'il avait honte. Tu m'as laissé croire que c'était lui le problème, que c'était moi qui avais raté quelque chose dans son éducation. Alors que tout ça, tout ça putain c'était toi.
Sa main vient se poser sur la joue d'Edward d'une violence inouïe. Félix avait tort, sa mère n'en lui en voudra pas d'avoir gâché son histoire d'amour. Elle s'en voudra d'avoir ruiné la vie de son fils et pour toujours.
— Tu m'as fait envoyer Félix en désintoxe pendant deux mois entier cet été pour le guérir de sa soi-disant addiction qui le détruirait alors que c'était toi qui le brisait !
Elle se contient du mieux qu'elle peut, mais si on devait personnifier la colère madame Grant serait un parfait exemple.
Tes affaires seront devant la porte à l'aube demain matin, si j'apprends que tu approches à nouveau cette maison ou mon fils tu auras tous les avocats du pays derrière toi et tu pourras dire adieu à ta vie.
Edward reste stoïque.
— Maintenant, dégage avant que je ne change d'avis et que j'appelle la police.
Il part sans rien dire de plus et claque violemment la porte. Anna porte la main à sa poitrine et prend une grande inspiration.
— Je suis désolée mon chéri, désolée de ne rien avoir vu.
Je fais signe à mon père qu'on doit partir. Nous sortons et rejoignons la voiture.
— Sacha !
Je demande à mon père de m'attendre et de retourner à la porte d'entrée, voire Félix. Il me regarde et alors qu'il s'apprête à me gratifier de son sourire habituelle, il essuie une larme qui pointe le bout de son nez et me prend dans ses bras.
— Merci de m'avoir sauvé la vie, chuchote-t-il à mon oreille.
Je me détache de lui avant de pleurer à mon tour.
— À lundi, dis-je en m'éloignant soulagée.
Lorsque je monte dans la voiture, je vois que mon père aussi est ému par ce qu'il vient de se passer. Il doit imaginer la peine qu'Anna a ressenti, n'ayant pas pu protéger son fils depuis tout ce temps. Il prend ma main et la serre.
— Tu sais que je t'aime Sacha et je t'aimerais toujours.
Je serre sa main aussi et lui sourit.
— Moi aussi papa.

Il n'est que dix heures et nous sommes déjà à Pasadena. On a déjà manqué la soirée d'hier, je ne peux pas perdre plus de temps. June m'a demandé tout le voyage pourquoi papa et moi n'étions pas là hier soir, pour manger. Je lui ai dit qu'on avait des trucs à régler, des trucs d'adultes. Elle m'a répondu que je n'étais pas encore une adulte. Elle ne lâche jamais l'affaire. On a pu prendre un petit déjeuner tardif avec ma mère et Éric avant qu'il ne parte travailler. J'ai raconté à ma mère ce qu'il s'était passé avec Cathy, elle m'a rappelé que les chiens ne faisaient pas des chats. Elle a raison. J'aimerais que papa ouvre aussi les yeux sur Libby. J'aimerais qu'il réalise qu'elle ne m'aime pas et qu'il arrête de prendre son partie où demander son autorisation pour tout. Mais ce n'est pas son genre. Je pense qu'il faudra que je m'y fasse, ce n'est pas comme si je devais vivre encore longtemps avec lui et Libby de toute façon. Dès la rentrée prochaine je serai en étude supérieur, j'aurais probablement mon propre logement où je vivrais sur le campus. Plus de Libby au quotidien, c'est ma plus grande motivation pour terminer mon année et avoir mon diplôme. Le week-end est passé trop vite, forcément nous ne sommes restés qu'une journée et demie. Ça me paraît toujours trop court de toute façon. Je suis en train de fermer mon sac, June cherche ses chaussures depuis vingt minutes. J'ai encore le temps. Quelqu'un frappe à ma porte.
— Oui ?
Je cherche mon chargeur de portable, il ne me manque plus que ça avant d'être prête.
 — Salut.
 Je ne me tourne pas. Je sais à qui appartient cette voix.
 — Salut, dis-je sur le même ton.
Ma sœur vient s'asseoir sur le lit, elle a les chevilles croisées. C'est tout ce que je vois d'elle parce que je ne lève pas la tête.
— Sacha ?
Je la regarde finalement. Elle porte ses cheveux détachés et un haut moulant qui laisse voir un début de ventre rond. Je ne l'avais pas vu depuis l'anniversaire de ma mère.
— Je suis venue m'excuser.
Je détourne les yeux.
 — T'aurais pu m'envoyer un message, ça aurait suffi.
 Je prends mon sac sur mon dos, ma sœur se lève et m'empêche d'avancer.
— Non ça n'aurait pas suffi, j'ai eu une réaction très grave, que je n'aurai pas dû avoir. Je suis désolée.
 Elle est sûrement allée se confesser à l'église et son révérend lui a dit d'accepter son prochain et tout ce qu'il va avec.
— Super, tu es pardonnée, tu peux avoir la conscience tranquille maintenant.
 Elle secoue la tête.
 — Je ne peux pas t'obliger à accepter mes excuses, je sais. Je n'aurai jamais dû réagir comme ça en premier lieu. Je suis une idiote.
 Au moins on est d'accord sur un point.
 — J'ai beaucoup réfléchi et j'ai réalisé que c'était n'importe quoi. De juger les gens sur leur sexualité, leurs genre, ce qu'ils aiment, comment ils s'habillent. C'est stupide de juger les gens tout court de toute façon.
Je ne la regarde pas mais j'écoute ce qu'elle a à dire.
 — J'ai beaucoup discuté avec Sean. Je veux que mon enfant vive dans un monde qui prône le positif et l'amour. Et je me rends compte que j'ai moi-même un travail à faire sur ça.
Elle tapote du pied par terre attendant que je dise quelque chose.
— Je te laisse le temps qu'il faut pour me pardonner, si tu en a envie. En tout cas sache que je t'aime et que j'ai hâte que mon fils ait une tante aussi géniale que toi.
Je relève la tête.
— C'est un garçon ?
Elle sourit.
— Tu es la première au courant.
Je ne réponds plus rien d'autre.
— Rentre bien, me dit-elle en me laissant passer devant elle.
 Je descends les marches en vitesse et salue ma mère qui attend que je lui dise quelque chose. Mais je ne sais pas quoi ressentir et je n'ai pas envie de tout oublier sous prétexte que c'est ma sœur. Elle m'a blessé, j'ai besoin de temps. 

Fix meOù les histoires vivent. Découvrez maintenant