Mardi onze août
Coup de théâtre ! Fin du monde ! Cataclysme ! Jean est dans tous ses états. Et pour cause : le voisin a volé une de nos poubelles. Enfin, selon Jean. Le cambriolage aurait eu lieu entre minuit et deux heures du matin. Et, bien évidemment, sans aucune preuve, il soupçonne Monsieur Martin, notre voisin. La guerre est déclarée ! La Troisième Guerre Mondiale va bientôt se pointer. Repliez-vous dans les tranchées mes amis ! Je ne pensais pas qu'une poubelle pouvait le mettre dans tous ses états. On croirait presque que la poubelle fait partie de ses grandes causes à défendre. À la même échelle que les famines en Afrique. Devant cette cacophonie, je me suis servi un bol de céréales spécial minceur. En ce moment tout se transforme en régime chez nous. À mon plus grand désespoir !
Ma mère touille sa tasse de café, ignorant les cris de Jean. Elle a l'habitude. Tout le monde crie dans cette famille. De vrais barges. C'est bien simple, pour communiquer ici il faut hurler. Croyez-moi, la plupart des gens qui viennent ici se retrouvent avec des acouphènes en ressortant de cette grotte. Samuel est toujours en train de dormir et j'ai presque envie de le réveiller avec fracas pour rajouter un autre drame familial.
Finalement le bon samaritain s'assoit, le regard rivé vers le jardin. Peut-être s'attend-t-il à ce que le cambrioleur lui fasse une surprise. Je ne serais même pas étonnée qu'il installe une caméra dans le jardin. Manquerait plus que mamie Joséphine et ce serait un matin cacophonique.
Mais j'ai une question existentielle entre deux céréales :
Qui vole des poubelles ?
Je n'ai qu'une seule chose à dire : la race humaine est incroyablement mystérieuse.
Mercredi douze août (l'après-midi)
J'ai demandé à mon père de cuisiner un gâteau au chocolat. Le pauvre vieux a eu l'air surpris. Même le microbe m'a lancé un regard bizarre. Nous l'avons rejoint chez lui pour manger en sa compagnie ce midi. Bizarrement il nous a appelés. Nous ne sommes pas un week-end pourtant. Ça sent la bizarrerie à plein nez ! Ne me dites pas qu'il va se marier lui aussi ?
Pas de rendez-vous au bar cette fois-ci. Non, toute la famille au complet dans sa petite maison. On pourrait jouer « La petite maison dans la prairie ». Comme d'habitude sa table basse est couverte de bouteille de bières et de capsules. Sans compter cette odeur de cigarette. Notre père vit dans un troc de ville.
Alexeï Ikov n'est pas quelqu'un qui fait attention à tout ce qui est de l'ordre du rangement. Il vit dans un désordre presque ordonné. Il a d'abord cru à la suite de ma demande de gâteau que c'était un de nos anniversaire. Il n'a jamais vraiment retenu les dates. Mais au vu de la tête étonnée de Samuel, il a vite soupiré de soulagement. Ce n'est pas un jour d'anniversaire. Ou peut-être que si après tout.
Aujourd'hui marque la fin de ce carnet ! Je l'ai enfin terminé. Rempli de mon écriture illisible, il ne paye pas de mine. Mais des pages et des pages, des poignets et des poignets cassés pour raconter ma piètre vie. Honnêtement, il ne s'est pas passé grand-chose durant ces derniers mois mais il faut bien fêter ça non ? Et rien de mieux qu'un gâteau raté avec une mauvaise cuisson. Je sème des miettes de chocolat avec l'espoir d'en racheter un dès demain.
Dois-je t'enterrer ? Que faire de cette preuve que je suis une adolescente lambda ? Il est fort probable que Samuel te trouve dans mes placards de bureau. Sans compter Corinne Armand qui fait la poussière presque tous les jours. Il ne reste qu'un moyen, te laisser dans la chambre d'ami de mon père, sous le matelas. Lui au moins, il ne fouille jamais et ne reçoit personne. Et après tout, si un jour mon père devient sociable, ça fera de la lecture à un étranger. Alors voilà cher journal, tu migres chez mon père, le temps que je trouve un meilleur sanctuaire. Tu vas voir, tu vas te plaire ici. Malgré l'odeur douteuse de ses cigarettes, Alexeï Ikov est un bon vivant.
Dois-je vraiment te dire adieu ? Adieu, cher journal, le nouveau ne te remplacera jamais. Peut-être qu'un jour j'aurais le courage de te lire en entier, même si c'est dangereux de replonger à plein nez dans son passé. Sérieusement, quoi de mieux pour se flinguer que de relire des morceaux d'un vestige d'antan ?
Ici git le premier journal d'Esther Ikov : grincheuse, ermite et binoclarde.
Mercredi douze août (le soir)
Finalement, j'ai trouvé ce cahier format A4 dans la chambre de Samuel. Il est vide, la couverture est orange citrouille (ce qui donne moyennement envie de l'ouvrir) et il se fera passer pour un cahier de cours. Parfait. Je ne pouvais pas attendre d'en acheter un nouveau. Je suis droguée à l'écriture. Je n'arrive pas à me sevrer et je crois que le truc, c'est qu'il faut continuer, continuer jusqu'à plonger. On connait la suite de toute manière.
C'est comme si je parlais à un inconnu à ce moment-même. Pas de chance, tu vas devoir te coltiner mes nouvelles jérémiades.
Je devrais peut-être t'amener à l'église cher journal et te faire baptiser. Après tout, ça porte peut-être malheur. Ça y est, je recommence à écrire un nouveau carnet et j'y raconte déjà des babioles inintéressantes. Je suis sûre que ça peut se faire, on baptisait bien des cochons au Moyen-Âge.
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Les poissons ne savent pas nager
Teen FictionEsther est sarcastique. Esther déteste le lycée. Esther hait le sport, les maths et les profs. Entre un père anarco-grognon, une mère complètement lunatique-intrusive, un frère surdoué et un beau-père collant, Esther écrit et parfois philosophe son...