Mai: sociologie et galettes de riz

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Jeudi neuf mai

Zéro et demi sur vingt. J'ai presque eu envie de rire lorsque monsieur Icare m'a rendu ma copie. Quel sadique avec ses « et demi ». Il aurait pu me mettre un sur vingt.

Je déteste la physique et je ne veux même pas essayer de comprendre cette matière. Monsieur Icare ne m'a même pas fait de remarque, je suppose que c'est peine perdue. Au début, il a essayé mais il a vite compris que c'était inutile. « Venez me voir à la fin du cours », c'est ce qu'il m'avait dit au début. Pauvre ignorant. Mais à présent, il ne me fait aucune remarque et ça me va très bien. J'aime quand on me laisse tranquille.

Quoi de mieux qu'un zéro et demi pour bien commencer la journée ? Qui dit mieux ? À la fin de l'heure, j'ai pris la poudre d'escampette, ignorant la fourmilière qui me sert de classe. Sans prendre la peine de ranger ma copie, j'ai couru vers la sortie. Tous ces gens pompent mon oxygène. Seulement, à mon grand malheur, je me fais interpeller par une voix beaucoup trop reconnaissable. J'ai vraiment envie de faire semblant de ne pas l'avoir entendu. Mais c'est peine perdue. Maxime est un petit canin et moi son os. La comparaison est des plus valorisantes.

Dumbo, me fait de grands signes s'élançant déjà vers moi. J'aurais pu être de bonne humeur, faire un effort mais il m'énerve d'avance. Autant vous dire que j'ai envie de m'enterrer sous terre, là maintenant, tout de suite. Comme si nous étions les meilleurs amis du monde, il empoigne ma copie avant de me claquer deux bises sonores.

- Zéro et demi, tu te surpasses Ikov.

Qu'est-ce qu'il est drôle ce garçon. Me mettant sur la pointe des pieds, j'essaye tant bien que mal de reprendre mon bien (ma copie, on fait avec ce qu'on a).

- Qu'est-ce que ça peut te faire ? T'as plus d'amis ou bien ? Qu'est-ce que tu viens encore me chercher des noises ?

Oui, j'ai bien dit « des noises ». Il faut toujours que je sois bizarre quand on devient amical avec moi. Je suis à deux doigts d'appeler un psychologue.

- Esther, tu poses beaucoup trop de questions à mon égard. Je vais finir par croire que ma présence t'intrigue. Ou plutôt te déstabilise.

Vraiment quel rigolo ce Dubois. Par pitié, Dumbo me rend finalement ma copie avant de me taper le crâne avec sa main.

- Tu n'es pas avec Alice au lieu de m'emmerder ?

J'ai appuyé sur une corde sensible. Le sourire du coq s'efface et il soupire bruyamment. Cette histoire va vraiment se distordre à un moment ou à un autre.

- Elle me fuit.

En grand sentimental qu'il est, son corps semble tanguer. Mon dieu, je ne le pensais pas aussi émotif. Cette fois-ci, Dumbo me déstabilise vraiment. S'asseyant contre les marches du laboratoire de physique, je l'imite. Côte à côte, Maxime observe la cour extérieure silencieusement. Malgré le fait que je sois de mauvaise humeur, je décide finalement de lui pincer le peu de gras qu'il a sur son bras. Un sourire malicieux se dessine sur son visage.

Avec Maxime c'est comme avec mon père. Parfois, les mots résonnent faux.

Vendredi dix mai

Alice est venue dormir à la maison. Couchées sur mon lit défait, comme à notre habitude nous avons chuchotés. J'adore quand Alice chuchote. Ses murmures sont harmonieux, comme une musique classique. Alice a une voix magnifique. Sa voix est une berceuse.

Alice a beau être sociable, elle reste un secret. Un murmure. On a du mal à la déchiffrer, à savoir ce qu'elle pense. Alice est un mystère et je l'aime comme ça. Elle a ce coté intouchable. Les gens aiment ça, je crois bien. Ils aiment les murmures, ils gravitent autour de ces mystères. Alice est difficile à comprendre. Elle peut paraitre froide aux yeux de ceux qui l'aiment. Alice arrive à être sociable et en même temps à garder de la distance. Mais moi, je crois qu'elle a peur de s'attacher. Et ça peut paraitre complètement bidon et cliché ce que j'écris, mais c'est ce que je crois.

Ses magnifiques yeux se sont vissés aux miens et elle a gloussé avant d'enrouler une de mes mèches de cheveux autour de son doigt.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Rien. Je t'observe, c'est tout.

On a plus le droit d'observer personne dans ce monde. Peu convaincue, mon amie a réprimé un sourire taquin avant de se concentrer sur le plafond. Alice parle très peu d'elle. De ses problèmes et de sa famille. Et je sais qu'elle ne supporte pas quand on lui pose une question trop intime. Elle l'a déjà dit « Je ne répond pas aux questions intimes ». Je n'ai jamais insisté sur ça. Si ma vieille amie n'a pas envie de parler d'elle, c'est comme ça. Il faut prendre les gens comme ils sont.

Quatre vingt dix sept taches de rousseur et quatre-vingt-dix-sept battements de rire.

Les poissons ne savent pas nagerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant