Juillet: ivres vagues et madame nudiste

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Mercredi trois juillet

Il y a deux choses qui me mettent en rogne le matin : ma mère et Samuel. La plupart du temps c'est ma génitrice. Mais cette fois-ci, c'est le microbe.

En pyjama, les cheveux en pétard, je deviens une vraie harpie. Et vous allez me dire, pourquoi tant de colère ? De haine ? Ça fait une heure que Samuel squatte la salle de bain. Et inutile de vous dire qu'il prend toute l'eau chaude.

Comme une enragée, je tambourine contre la maudite porte en bois, hurlant comme une possédée. Je le menace en usant tous les noms d'oiseaux possibles et imaginables. En réponse, Samuel augmente le volume de sa musique, histoire que je perde l'ouïe. Que de bons sentiments.

Dans le fond, je peux très bien me doucher le soir mais c'est une question de principe. Et de justice. Et dire que je vais me farcir ce microbe durant toutes les vacances, prions pour qu'il soit inscrit rapidement à son stage de petit rat de l'opéra.

La réalité est là les amis, mon petit frère dirige la maison. Autant vous dire que j'ai le moral en miettes. Descendant les escaliers à vive allure, je me précipite vers ma mère qui tartine son pain avec une couche de pâte à tartiner. Répugnant. Jean, quant à lui, touille dans sa tasse de café, le regard perdu au loin. Ils se font vieux ensemble. J'ai l'impression d'être dans une maison de retraite.

Tant pis pour la solidarité fraternelle, l'heure est grave. Corinne Armand lève le regard vers moi, soupirant déjà. Je tiens à préciser que je n'ai encore rien dit mais il faut croire que, dans ma famille, on censure tout le monde. Une vraie monarchie.

- Il se compte les poils du cul ou quoi ?

Jean manque de s'étouffer avec sa tasse de café et ma mère lève les yeux au ciel. Elle n'a pas l'air de vouloir faire la juge ce matin. Mais à vrai dire, je m'en fiche. Samuel ne gagnera pas cette partie. Qu'est-ce qu'il m'énerve.

- Esther, ton langage.

Hors sujet. Comme toujours j'ai envie de vous dire. Le frigo ouvert, j'empoigne la barquette de jus de fruit et la pose violemment sur la table (Jean sursaute) :

- Une heure qu'il est dans la salle de bain ! Une heure ! Je vais devenir chèvre !

- Je ne vois pas en quoi c'est un problème. Tu n'as pas cours. Vous vous levez tôt pour les vacances et en même temps qui plus est. Alors forcément, c'est la guerre pour la douche.

- Et alors ?

Où elle veut en venir exactement ? Si je me lève tôt c'est mon problème. Il fut un temps où elle rêvait que l'on se réveille à huit heures pour faire nos cahiers de vacances. D'ailleurs, on y a toujours échappé avec Samuel. Pas si bêtes que ça finalement. Croquant dans sa tartine, Corinne Armand soupire encore plus bruyamment que tout à l'heure. Je me demande bien comment Jean fait pour la supporter. Parce que moi, je n'y arrive plus. Je vais faire un burn-out. Le mois commence bien.

Dès le matin, ma famille me fout en rogne.

- Il ne faudra pas venir se plaindre pour les factures.

- Je ne jouerai pas à l'avocate, Esther. Je n'ai pas le temps. Je travaille moi.

J'ignore son « moi » qui veut tout dire. Vous savez, il signifie « moi je travaille au lieu de me dorer la pilule comme vous, alors fichez-moi la paix ».

Impossible de la corrompre. Samuel l'a définitivement dans la poche aujourd'hui. Qui rira le premier, rira le dernier. Quant à Jean, il fait mine de devenir invisible pour qu'on ne l'implique pas dans la conversation. Beaucoup trop facile mais je le laisse tranquille. Pour une fois, je me sens obligée de me justifier et d'argumenter. Peut-être que ça changera la balance.

- Si je me lève si tôt, c'est pour rejoindre Valentin.

Aussi surprenant soit-il, le bras cassé se lève très tôt pendant les vacances. Je n'ai jamais trop compris pourquoi mais apparemment c'est pour « mieux profiter de ses journées ». Vous imaginez bien que pendant la période scolaire, c'est tout un autre discours, du style : « Je me lève tard pour que ça passe plus vite ». Et aussi rare soit-il, c'est très logique pour une fois.

- Tu n'as qu'à te doucher chez lui.

Mais bien-sûr, j'allais lui en parler. Corinne Armand a toujours des idées pourries. Sans façon. Le petit frère de Valentin remplace les produits de bain par de la crème anglaise, sans compter leur affreux caniche qui gratte toujours derrière la porte des toilettes ou de la salle de bain. À croire qu'il a une commission à faire dans la cuvette.

Ma mère finit par me faire un signe de la tête en direction du couloir.

- Tiens regarde, quand on parle du loup. Scande ma mère.

Le microbe fait son entrée, en short, une serviette de bain autour du cou. Ses cheveux blonds semblent dégarnis. Un rat mouillé. Il sifflote comme si de rien était, prenant dans le placard un verre propre et sec. Je me tourne vers ce microbe en lui lançant un regard mauvais. Il finit par s'asseoir sur l'une des chaises. Bien évidemment en face de moi. Le contraire vous aurait étonnés, je suppose.

J'envie de l'étrangler sur place. Un sourire tête à claque apparait sur son visage lorsqu'il me voit le dévisager. Dévissant le pot de nutella, il hausse les épaules :

- Esther, il fallait rentrer. J'étais habillé. Je me brossais juste les dents.

De la fumée sort de ma bouche et de mon nez. Je sers si fort mon verre qu'il pourrait se briser en mille morceaux. Quel morveux. Si je pouvais le tuer là tout de suite, ce serait un pur plaisir. Ma mère finit par se lever, époussetant son tailleur. Où elle va comme ça ? Je ne l'ai jamais vu aussi bien habillée. Son affreuse voix retentit :

- Tu vois Esther, il fallait juste demander gentiment.

La bave du crapaud n'atteindra pas la blanche colombe. Me levant, je finis par poser mon verre plein dans l'évier.

- Vous savez que vous mangez du sang d'orang outan ?

Et sur ces paroles je quitte la cuisine.

Inutile de vous préciser qu'il n'y avait plus d'eau chaude. Mais apparemment, c'est bon, pour la circulation sanguine. Information qui vient de Corinne Armand. Toujours là pour éclairer le peuple celle-là.

Jeudi quatre juillet

J'ai les cheveux qui graissent rapidement, des boutons rouges sur le front, de la cellulite sur les fesses et de l'eczéma dans les oreilles (oui, je vous assure que ça existe). J'ai aussi des dépigmentations de peau sur la cuisse droite, des poils incarnés sur les jambes à cause du rasoir, des dents pas droites et j'en ai une, celle de devant, qui a un bout cassé. Au-delà de ça, je suis bigleuse et je casse souvent les branches de mes lunettes.

Mais vous savez quoi ? J'aime bien les zébrures blanches sur ma peau. Je suis en paix avec moi-même. J'ai assez bataillé et martyrisé mon corps au collège.

Maintenant, je me fiche complètement de sortir avec quelques petits poils qui repoussent et dépassent de mes jambes. Et si j'ai des boutons, et bien, qu'ils prennent l'air. Laissons-les saluer le monde entier.

Parfois, il faut lâcher prise. Et je vous assure que ça fait du bien.

Les poissons ne savent pas nagerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant