Août: coyotes solitaires et bave d'escargot

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Samedi premier août

Je crois que j'aurais été la meilleure amie de Shakespeare. Croyez-moi, on se serait entendus à merveille : Copains comme cochons. Alors que l'ennui me guette et que mes réserves de culottes Petit bateau s'épuisent et se perdent dans les limbes de la maison, je pense à l'amour. Un des meilleurs sujets, je blague bien évidemment. Je suis autant allergique à ce sentiment qu'à Valentin et aux pissenlits : plaques écarlates, nez qui coule et yeux aussi rouges qu'un junkie. D'ailleurs, j'élis Shakespeare « meilleur dramaturge de son siècle » ! Si l'on en croit ses histoires d'amour, soit ça se termine en suicide soit en meurtre. Le pauvre type a bien dû marner dans sa vie sentimentale. Je pense sincèrement qu'il devait être traumatisé.

Il y a des gens qui sont faits pour l'amour, Alice par exemple. Elle aime tomber amoureuse. Et, malgré le fait qu'elle soit tombée sur un ramassis de crétins, elle continue de croire en la gent masculine. Grossière erreur si je puis me permettre. Et puis il y a ceux qui ne sont pas faits pour l'amour comme Valentin et moi. Nous sommes de ceux qui enchainent les situations gênantes et les plans foireux. Nous ne sentons pas la rose et le lilas mais la transpiration et, en plus de ça, nous sommes ingratement insupportables.

Mais l'heure n'est pas à l'amour mais plutôt à l'ennui. Enfouie sous ma couette, mes pensées jouent à colin-maillard. Je crève de chaud et, à moitié à poil, je m'extirpe quelques poils incarnés. L'été a son lot de malheurs. Pour plus de précisions, aujourd'hui, je suis d'une humeur massacrante. Une larve qui veut provoquer l'apocalypse, ça va pour vous ? Mais vous le savez bien, dans la famille Ikov, le mot « calme » n'existe pas. Ma mère a débarqué dans ma chambre avec la fière envie de m'embêter. Samuel est à ses trousses et n'en loupe pas une pour s'immiscer dans cette crise familiale. Il aime beaucoup trop les ragots. Quel maudit ragondin. Faites-moi penser à la noyer dans les prochains jours. Bien évidemment, Corinne Armand, une femme réputée pour sa délicatesse, ouvre brutalement les volets. Tel un vampire, j'ai marmonné en me recroquevillant encore plus dans ma vieille couette.

-           Esther, tu vas rester ici encore combien de temps ?

Une éternité. Roulant telle une larve, je fais face au mur qui me semble beaucoup plus intéressant que le visage de ma mère. Toujours là pour me chercher des noises. Une pile de linge à la main, je l'entends pester contre le désordre qui règne dans ma chambre. Je rivaliserais presque avec Valentin mais, manque de bol, je ne fais pas encore trainer mes vieux caleçon sales sur le plancher. La prochaine fois, j'y penserai, enfin, si mes merveilleuses culottes reviennent. Écoutez, on aura beau dire ce que l'on veut, rien ne vaut le confort des culotte Petit bateau. Au moins, elles, elles ne rentrent pas dans les fesses. Allons-nous réellement débattre sur les culottes ?

Ma mère grogne tel un dinosaure et je devine qu'elle fait la moue. Elle doit aborder l'air « je fais tout dans cette baraque et elle n'est même pas foutue de ranger sa chambre ». Personne ne respecte mon état larvaire.

-           Tu me feras le plaisir d'aérer cette chambre tous les matins.

Je sais très bien que Corinne Armand à cet instant même me compare à mon père. Elle pense trop fort, ça me fait mal à la tête. Posant un coussin contre ma tête, ma mère me l'arrache des mains avant de poser férocement mes culottes.

-           J'ai repassé ton linge.

-           Qui repasse les culottes ?

Ma mère est une boîte à musique. Il suffit de tourner la manivelle pour avoir sa chanson en tête pendant une heure. La voilà partie dans sa crise de nerf.  Je n'ai même pas la foi de l'arrêter. Je suis de mauvaise humeur et je n'ai pas envie de passer devant le juge pour meurtre. Je n'aurais même pas l'argent pour me payer un avocat. Inspectant les moindres recoins de ma chambre pour trouver de quoi s'énerver d'avantage (les parents adorent faire ça ), elle finit par porter son attention sur mes cheveux gras. C'est vrai, ça doit bien faire quatre jours que je n'y ai pas touché mais je suis une femme écologique voyez-vous. C'est surtout que je suis une grosse flemmarde. Bien évidemment Corinne Armand fait une mine de dégout et elle a bien raison. Je ne ressemble strictement rien avec mes grosses lunettes et mon chignon de samouraï.

Les poissons ne savent pas nagerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant