Mercredi quinze mai
Oyez, oyez braves gens. J'ai accompagné ma mère faire les courses. Mais ne vous méprenez pas, vous serez surpris de voir que l'on est prêt à tout pour ne pas réviser le bac. Ma mère a paru très contente de me voir débarquer en chaussures et hurler « Je t'accompagne ». Et me voilà qui traîne le caddie derrière ma génitrice, qui semble connaître par cœur les rayons. Une vraie experte, elle observe même les dates de péremption avec précision. Je ne la connaissais pas aussi méticuleuse. Comme quoi. Allez faire des courses en famille pour découvrir de nouveaux visages.
L'envie brulante d'écraser un mioche qui court dans tous les sens me chatouille les pieds. Pourquoi diable les parents amènent-ils leurs gosses faire des courses ? Ils hurlent, embêtent tout le monde et sont très insupportables. Surtout lorsqu'ils vous regardent avec leurs grands yeux pendant au moins une éternité. Ils ne sont pas encore finis.
D'une souplesse digne d'une des plus grandes gymnastes, ma mère se met sur la pointe des pieds pour attraper un paquet de jambon à la date de péremption la plus éloignée du mois. Je veux bien qu'elle soit méticuleuse, mais on ne va pas y passer la nuit. Faisant blocus avec mon caddie, je décide de m'éloigner de cette zone de guerre pour aller aider cette pauvre mère. Je peux m'avérer être une bonne fille parfois.
Comme Indiana Jones, j'ai décidé de me diriger seule vers le rayon graines. Corinne Armand est en ce moment dans son trip « graines et minceur ». Encore quelque chose de débile mais on est plus à ça près. Aventurière dans l'âme, je me suis posée devant le distributeur de nourriture pour rongeur. Je vais devenir un hamster avant la fin du mois. Mais alors que je me tourne vers un autre distributeur, je remarque une personne que je reconnaitrais entre mille. Cheveux bruns, des jambes grandes et maigres voire complétement décharnées, il n'y a pas de doute. Le gars à l'ouest. Toujours la même dégaine. Pris d'un élan de timidité, je me tourne brusquement. Seigneur, pourquoi faut-il que je tombe toujours sur des connaissances quand je suis habillée comme un sac ? En vieux jogging et vieux sweat j'ai l'air d'une sportive du dimanche. Seulement j'entends des baskets crisser et une voix très grave, le genre de voix cathédrale. J'aimerais qu'il ne me reconnaisse pas ou qu'il soit insociable. Mais il n'en a pas l'air. Non, le gars à l'ouest persiste et se plante devant moi comme un gogole. Je sens sa présence derrière mon dos.
- Ça alors, la femme de l'au-delà.
Ce n'était pas un gros pochtron finalement, il s'est souvenu de mon magnifique et merveilleux surnom. C'est ironique, bien évidemment.
- Tu te souviens de moi ? On s'était parlé à la soirée.
Bien sûr que oui que je m'en souviens. Comme si j'avais eu un coma. Je me souviens même de notre sujet de conversation. C'était sur le livre que je lisais. Je ne suis pas amnésique.
Prise la main dans le sac, je me tourne vers lui. Je déteste être prise au dépourvu surtout dans un rayon de graines. Il me lance un immense sourire à m'en donner mal à la tête. Un sourire solaire qui vous donne des coups de soleil. Un sourire un peu exagéré. Ses cheveux sont toujours bruns et épais et il a un grand nez. Un perchoir à sauterelles comme dirait notre ami Cyrano de Bergerac. Très grand et maigre, il me fait penser à un suricate.
- Oui.
Applaudissez-moi, j'ai aligné un mot. Au temps des hommes préhistoriques, les gens se contenteraient de ça. Mais lui reste toujours droit devant moi, un paquet de galettes de riz entre les mains. Qui mange des galettes de riz ? C'est sec et ça n'a aucun intérêt. Le suricate rigole. Les gens rigolent trop facilement. Pour un oui ou pour un non. Il est de bonne humeur ce garçon. Ou un peu trop euphorique.
- Tu vas bien ?
- Oui.
Non mais étranglez moi. Je vais vraiment appeler un psychologue. Ce n'est plus possible. Le gars à l'ouest louche sur mon paquet de graines et d'un air entendu me lance :
- Je te conseille le quinoa, c'est meilleur. Au fait, ravie de te revoir !
- Oui et toi ?
Vous pouvez me passer à la guillotine. Monsieur galettes de riz éclate de rire.
- Je vais y aller. Quinoa m'attend.
Mon dieu cette fois-ci c'est vraiment la honte. Je n'arrive vraiment pas à gérer les relations humaines. Dès que je sors de ma grotte, je fais n'importe quoi. Le suricate rééclate de rire et je n'ai même pas la force de le regarder de nouveau. Bon sang, je perd mes moyen, j'ai envie de me claquer la tête contre le distributeur. Je me dirige d'un pas incertain vers ma mère.
- Au fait moi c'est Hazael !
Il hurle son prénom sans se soucier des gens autour. Me tournant rapidement, les cheveux dans les yeux je réplique rapidement :
- Esther.
Je vous ai prévenu, je collectionne les moments gênants mais alors celui-ci, je n'en ai même pas les mots.Fonçant vers ma mère, je prends plein de paquets de jambons que je glisse dans le caddie avant de la tirer par le gilet. Mais malheur, je vois le gars à l'ouest se diriger vers le même rayon que nous. Par reflexe j'oblige ma mère à se placer derrière le caddie.
- Mais qu'est-ce qui t'arrive bon sang ?
- Il faut y aller. Vite.
Partons vite de cet endroit. On dirait presque que c'est l'apocalypse.
- Bon dieu, pourquoi on est tous bizarre dans cette famille ?
Pour une fois que Corinne Amand soulève une question intéressante. J'en ai oublié mes graines et cette histoire de quinoa. Attendez, m'a-t-il vraiment parlé de quinoa ?
Hazael, j'aime bien ce prénom. C'est comme un souffle de vent.
Jeudi seize mai
J'ai observé Samuel dans la salle de bain. Nous nous brossions les dents et je l'ai fixé. Samuel à l'intelligence. Ma mère à la beauté. Mon père a le charme. Et moi ? J'arrête, c'est beaucoup trop déprimant de se brosser les dents avec ce microbe. J'ai balancé ma brosse à dent dans l'évier, en claquant la porte.
Ma famille me fout le cafard.
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Les poissons ne savent pas nager
Teen FictionEsther est sarcastique. Esther déteste le lycée. Esther hait le sport, les maths et les profs. Entre un père anarco-grognon, une mère complètement lunatique-intrusive, un frère surdoué et un beau-père collant, Esther écrit et parfois philosophe son...