Janvier: Biscuit à la figue et premier pas

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Mardi quinze janvier

Même avec les mains grasses et la bouche pleine, Alice est fabuleusement magnifique. Elle porte les vêtements de son frère sans que ça ne fasse sac poubelle et surtout, elle sait faire du skate. Alice est le genre de fille avec qui vous pourriez passer des heures à discuter sans jamais être ennuyé. Alice, c'est le genre de fille que vous résumeriez à « fantastique ». En plus d'être cette personne incroyablement cool, tout le monde l'apprécie. Je ne sais toujours pas comment elle fait, ni comment c'est possible mais une chose est sûre, elle sera toujours invitée à d'innombrables soirées. À côté d'elle, j'ai l'air d'être cette vieille marmotte qui ne sort jamais de son trou. Je déteste les soirées. Pour être plus précise, je m'emmerde, j'ai l'impression de devoir jouer un rôle et de boire comme un trou pour me donner de la contenance. Et puis il faut toujours qu'il y ait une fille hystérique qui à trois heures du matin pleure ou hurle comme une dégénérée à en réveiller les morts. Sans oublier les garçons avec leurs horribles casquettes vissés jusqu'aux oreilles qui font les mecs-grave-cool-et-le-genre-intouchable à fumer des joints et à boire dans leur coin. Je tiens à préciser que je ne suis pas une de ces filles aigries, mais je n'aime tout simplement pas ces ambiances de jeunesse décadente. C'est ennuyeux à en mourir.

Ce matin-là, Alice et moi déjeunions des frites pas cuites et mollasses de la cafétéria sans nous douter une seule seconde de la proposition de Valentin. Il nous avait rejoint, le sourire banane, sa tignasse bouclée rivalisant toujours autant avec la forêt amazonienne et avec une attitude franchement énervante. Comme s'il arrivait en terrain conquis. Sa voix d'ogre s'est élevée vers les cieux, à en percer les tympans de Dieu.

- Vous faites quelques chose samedi soir ?

Croyez-moi, lorsque Valentin Bertrand vous demande vos disponibilités pour un samedi, ça ne présage rien de bon. Nous nous sommes échangé un regard alarmant avec Alice sans que Valentin ne s'en rende compte. Les détails lui importent peu et c'est bien pour ça qu'il continue à persister avec Alice. Notre compatriote de fortune essaye tant bien que mal d'entourer un de ses bras autour des épaules de la jeune rouquine mais c'est peine perdue. Un regard cependant triomphant, le jeune gringalet finit par capituler.

- Bien évidemment que vous n'avez rien à faire samedi soir. Pour faire court, Louis organise une soirée chez son cousin et je m'y invite. Alice, Esther, laquelle de vous deux veut avoir le privilège de m'accompagner ?

Haussant un sourcil, je n'ai pas relevé cet affront totalement vrai parce que oui, je suis toujours libre le samedi soir et Alice à préférer balayer du revers de sa main les paroles coupantes de Valentin. Pris d'un élan de confiance, mon vieil ami a fini par poser un de ses bras ballant autour de mes épaules, après une longue hésitation.

- Voyez-vous mes chères amies, si je ramène une de vous deux, ça passera mieux.

Valentin n'est pas du genre à nous écouter et je vous parie qu'il a déjà pris sa décision : c'est-à-dire de vouloir amener Alice. Après tout, il ne rate pas une seule occasion pour pouvoir la draguer. Je me demande bien comment il fait pour ne pas être frustré de cette relation sentimentale non partagée. Son regard se tourne instinctivement vers la rouquine qui soupire d'exaspération.

- Alice, tu ne voudrais pas venir par hasard ? Je suis sûr que tu t'amuseras. Et puis tu connais notre vieille Esther, c'est impossible de la faire sortir de sa grotte.

Valentin est par moment un vrai crétin. Levant les yeux au ciel, je plains déjà Alice. Les plans foireux de Valentin, on pourrait en faire une liste. À chaque fois ça tourne au vinaigre ; quand il est dans les parages, vous pouvez être sûrs qu'un cataclysme frappera dans les prochaines heures. Il faut toujours qu'il boive comme un trou, soit qu'il provoque une bagarre, soit qu'il se décide de participer à la baston en question, soit qu'il drague lourdement une fille et qu'il finisse par pleurer son désespoir à cause d'un refus, une bouteille de tequila dans les mains. Vraiment, pour résumer Valentin, on pourrait l'associer à « plan foireux ».

- Ça dépend, il y aura qui ?

Voyant une issu possiblement positive, Valentin se redresse d'un bond, sous les regards suspicieux des surveillants. Comme s'il allait demander en mariage Alice, il pose une de ses mains rugueuses sur celle de la rouquine.

- Il y aura moi, n'est-ce pas le plus important ?

- Est-ce qu'il y aura Maxime ?

Blanc comme un linge, notre jeune ami se redresse. Pauvre garçon, l'amour de sa vie ne le voit qu'en « parfait et meilleur ami pour la vie ». Pardonnez-moi cette phrase kitch mais je trouve qu'elle résume bien la situation. D'un air revêche et renfrogné, Valentin fait mine de ne rien entendre et enfouit ses mains dans les poches de sa veste.

- Je ne sais pas si cet abruti viendra. Tu sais que je ne peux pas le blairer ce type.

- Et pourquoi donc ?

Mon sourire vissés au coin du visage, je me délecte des yeux noirs que me lance mon compatriote. Nous savons tous très bien pourquoi Valentin Bertrand déteste Maxime Dubois, c'est statistiquement logique. Le jeune brun finit par s'asseoir mollement et soupire bruyamment comme si ma question était la plus ennuyeuse du monde.

- Je ne sais pas, sa tête ne me revient pas. Avec ses oreilles décollées. D'ailleurs tu ne l'aimes pas non plus Esther.

- De toute manière Esther déteste presque tout le monde. Mais je viendrais, tu as gagné.

Comme s'il avait avalé de la vitamine D, Valentin se relève victorieux et se jette sur moi, hurlant un « GENIAL » comme si c'était l'un des événements les plus cool qu'il n'y ait encore jamais existé sur cette terre.

J'ai oublié de vous dire, Alice adore sauver son prochain.

Mercredi seize janvier

Il pleut. Et pour rajouter de la déprime, il n'y a plus rien dans les placards mise à part les biscuits à la figue de ma mère, les fameux « figolulu ». J'ai quand même tenté la dégustation de ces trucs et ce n'est pas si dégueulasse que ça. Je dirais même que c'est bon. Sérieusement, il ne se passe strictement rien dans ma petite vie d'ermite. Mais dans le fond, ce n'est pas si grave que ça. Je ne suis pas faite pour l'action.

Les poissons ne savent pas nagerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant