Mercredi premier mai
Nouveau mois et fête de travail. Ça s'annonce rocambolesque. Bien évidemment je rigole, dois-je vous rappeler que je suis une marmotte ? Et qu'est-ce qu'une vie de marmotte d'après vous ? La paix et la quiétude. Et un brin d'action, n'oublions pas nos amis LES prédateurs qui nous pourchassent.
Les prédateurs en question sont entre autres ma famille. Et surtout Corinne Armand.
Plus sérieusement, pourquoi faut-il toujours que ma mère débarque en furie dans ma chambre alors que je n'ai rien fait ? Elle a le don de me foutre en rogne. Encore en tenue de travail, c'est-à-dire avec son badge Castorama, elle me tend des serviettes éponges sous le nez comme si j'étais aveugle.
- Qu'est-ce que c'est ?
Son ton de voix me fait penser à la porte des toilettes de mamie Joséphine qui grince. Très désagréable si vous voulez mon avis. Dois-je réellement lui répondre au premier degré ? Levant la tête de mon journal, j'ai simplement froncé les sourcils.
- Ce sont des serviettes de bain un peu usées. Il faudrait en racheter d'ailleurs, elles grattent beaucoup trop.
- Je m'en fiche Esther de savoir si elles vous irritent le postérieur.
« Postérieur », qui utilise encore ce mot ? Rien de plus de désagréable que d'entendre ma mère dire « postérieur ».
- J'en ai marre que vous utilisiez toi et ton frère dix mille serviettes de bain et que vous les foutiez directement au linge sale. Ça se réutilise les serviettes.
Oui les amis, on est bien en train de se prendre le chou pour des serviettes éponges. Difficile de nous prendre au sérieux avec cette altercation, n'est-ce pas ? J'ai bien eu envie de lui rétorquer que ce n'est pas ma faute si nous avons de l'hygiène Samuel et moi mais je me suis tue. Corinne Armand peut devenir un vrai tyrannosaure alors autant éviter un possible massacre ou un gueuleton. Sérieusement, utiliser des serviettes déjà utilisées, c'est affreux. C'est humide et ça dégoute. Excusez-nous Corinne Armand d'avoir un bon sens de la propreté.
Après avoir fulminé, ma mère a eu la bonté de partir, en ne fermant pas la porte derrière elle. Ses marmonnements me rendent dingue et j'ai décidé de fermer la porte de la plus délicate des façons. C'est-à-dire en la claquant. Bon dieu, on n'a pas d'intimité dans cette famille.
Qu'est-ce que je disais précédemment ? Que j'avais une vie de marmotte non ?
Vendredi trois mai
Je fais enfin mon coming-out. Il n'y a plus de doute là-dessus. Maxime Dubois est devenu mon ami. Vous avez bien entendu. Mon dieu, je n'en reviens toujours pas. J'en ai les mains moites et la voix toute tremblante.
Il m'a attendue comme tous les vendredis devant les grilles du lycée. Une canette de limonade à la main, il me l'a tendue avec son sourire malicieux. Je m'y suis fait à ce sourire, il me devient moins insupportable, c'est déstabilisant, je le conçois. Comme si je lui avais donné cent euros, il a paru très content lorsqu'il m'a entendue marmonner un « salut ».
Nous avons marché d'égal à égal (comme les chevaliers de la table ronde et oui j'ai beaucoup d'humour aujourd'hui), nos deux coudes s'effleurant. Il y a eu ce silence amical. Vous savez ce silence où vous n'êtes pas obligés de parler. Un silence sucre et presque innocent.
Et je ne sais pas pourquoi, mais j'ai eu un grand besoin de me confier à lui. Pour la première fois. Mon dieu, il a réussi à avoir ma confiance, c'est traumatisant moi je vous le dis.
- Tu connais la sociologie Maxime ?
Ma question l'a surpris puisqu'il m'a fixée bizarrement, ses yeux bleus s'accrochant à l'ancre des miens. Bien évidemment que non, pourquoi est-ce que je pose cette question ?
- Pourquoi cette question ?
L'illuminé m'ôte les mots de la bouche. Si ce n'est pas fantastique ! Non les amis, moi je dis que c'est UN miracle.
- Ma mère va se remarier. Et comme tous les couples, elle va avoir des enfants. C'est sociologique tout ça.
Oreille décollée pouffe de rire comme si ce que j'avais dit était des plus comique. Je l'ai laissé tout seul dans son délire, vaut mieux le laisser patauger dans sa bêtise. Quel âne.
- T'es vraiment bizarre.
- C'est toi qui ne comprends rien. Je te parle de sociologie, c'est très sérieux Dubois.
Le Dumbo a repris de son sérieux, ce qui est très rare si vous voulez mon avis. Comme si nous étions les meilleurs amis du monde, il a passé son bras autour de mes épaules. Qu'est-ce qu'ils ont tous avec ce délire-là de s'emboîter les bras ?
- Nous ne sommes pas des lego à ce que je sache. Ôte immédiatement ton bras.
J'ai mes limites. Le repoussant, il a fini par mimer l'anéantissement. Vraiment immature. Je déteste les gens tactiles. Je ne supporte pas tous ce qui est « papouille », rien que le mot me donne des frissons. Papouilles, sérieusement c'est ridicule. Pouleouille tant que tu y es non ? Plus sérieusement, laissez-moi mon espace vital, j'ai besoin d'oxygène et d'espace. Je déteste le contact humain. Surtout quand il fait chaud. Ça pègue et ça pue.
Maxime me fixe de ses yeux de merlan frit et il finit par me lancer une pichenette sur le gras de mon bras.
- Esther, tu réfléchis trop. Comment tu fais pour dormir ?
- C'est bien simple, je ne dors pas Dubois.
Oreille décollée se met à rire. Continuant notre marche, j'en viens à me demander si j'ai la capacité de l'étrangler. Sa canette vide, Maxime la lance vers l'une des poubelles de la rue. Je mime son geste et bien évidemment, elle tombe à coté. Le contraire vous aurez étonné avouez-le. Mais Dubois ne fait aucun commentaire et comme un valeureux petit caniche, s'élance vers cette canette pour la mettre à la poubelle. Quel écologiste.
- Plus sérieusement, tu es beaucoup trop vieille pour te préoccuper du futur.
Bizarrement j'aime cette idée. Je suis beaucoup trop vieille pour penser au futur. Pour une fois Dubois arrive à me clouer le bec. Du jamais vu.
- La seule chose dont tu dois te préoccuper c'est quand est-ce que tu vas me demander de t'accompagner au mariage et ce qu'on va manger.
Levant les yeux au ciel, j'allais ouvrir la bouche mais Maxime plaque sa main contre ma bouche. Je crois que je lui bave dessus. Nos deux regards se fixent et je finis par rigoler contre sa paume. Cette fois-ci, j'en ai la certitude, je lui bave vraiment dessus. Et il a l'air de s'en ficher pas mal.
C'est bizarre comment viennent les choses. Je crois que l'amitié c'est beaucoup plus fort que l'amour. Ça ne s'explique pas. Ça vous prend d'un coup, ça vous troue l'estomac, ça vous transperce le corps. Et croyez-moi, l'amitié c'est bien plus dangereux que l'amour sous ses airs innocents. Et je viens d'y plonger la tête la première.
Tant pis, je prends le risque.
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Les poissons ne savent pas nager
Teen FictionEsther est sarcastique. Esther déteste le lycée. Esther hait le sport, les maths et les profs. Entre un père anarco-grognon, une mère complètement lunatique-intrusive, un frère surdoué et un beau-père collant, Esther écrit et parfois philosophe son...