Avril: morue et énergie pulsionnelle

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Mercredi trois avril

Les poules ont des dents. J'ai l'heureuse nouvelle de vous l'annoncer, alors maintenant, méfiez-vous de ces volatiles. En ce jour presque biblique, les poules ont des dents. Alors vous allez me demander « Qu'est-ce que c'est encore que ce délire ? ». Eh bien, Jean a cuisiné ce soir. Oui, le petit maigrichon a décidé de se mettre au fourneau. Lui et sa calvitie presque apparente ont brillés sous les lumières de la cuisine. Un sourire banane aux lèvres, beau-père collant a entreprit de préparer des falafels. Il ne cuisine presque jamais alors oui, autant commencer par l'un des plats les plus faciles de la gastronomie : les falafels. Sans blague, les œufs brouillés nous auraient beaucoup plus donné envie. Mais je n'ai fait aucune remarque. Je suis d'humeur presque agréable.

La famille gredin toute réunit, s'est installé dans un silence religieux. On aurait presque fait le bénédicité. Jean est arrivé, l'assiette remplie de boulettes difformes et dégoulinante de gras. Mon estomac en est déjà retourné alors que je n'ai encore rien avalé. Du jamais-vu. Samuel a avalé sa salive difficilement quant à ma mère, elle a paru si heureuse, si radieuse qu'elle en a perdu son latin. Applaudissant comme une tarée, elle a finalement fait entendre sa voix criarde :

- Ça a l'air exquis.

Pas bon. Ni délicieux. Exquis mesdames et messieurs. Un grand mot pour un grand plat. Jean tout content s'est assis en face de Corinne Armand et a mimé le je-suis-pas-content-de-mon-plat pour qu'on le complimente encore plus. Grand dieu, j'ai horreur de ça. Mais vu que ma mère a insisté du regard, j'ai chantonné presque trop enthousiaste :

- Ça a l'air bon Jean.

- Venant de toi Esther, ça me fait plaisir.

Pauvre homme insouciant. Je fais mine d'être en grande joie face à ce diner infernal et nos regards se penchent vers Samuel qui n'a pas encore décroché un mot. La petite tête blonde, remarquant nos yeux exorbités a mimé à son tour :

- Oui Jean, ça à l'air vraiment bon.

Nous servant lentement, Jean sifflote. L'heure de la potence a sonné. La dégustation s'impose. La corde au cou, j'ai pris une grosse bouchée, autant en finir au plus vite. Ma mère et Jean seront définitivement nuls en cuisine et je l'écrirais sur le code pénal pour que le monde entier soit au courant qu'il ne faut pas venir diner chez nous.

Le truc c'est que les poules ont vraiment des dents. C'est bon. Non même pas bon. Mais délicieux. Surprise, je prends une nouvelle bouchée. Seigneur, c'est comestible et en plus de ça c'est « exquis » comme dirait ma mère. Le microbe est le premier à ouvrir la bouche :

- Je faisais semblant tout à l'heure mais là, c'est hyper bon Jean.

En triturant cette falafel dans mon assiette je finis par fixer Jean qui semble un peu embarrassé de mon regard braqué sur lui. Il est vrai que je lui porte peu d'attention, ce n'est pas que je ne l'aime pas. Il est gentil mais on a aucun atome crochu.

- Pourquoi tu n'as jamais cuisiné avant ? Tu nous aurais évité des diarrhées ou des constipations.

Samuel ricane presque à s'en étouffer et Jean finit par rigoler accompagné de ma mère. On dirait deux pigeons qui roucoulent.

- Ta mère voulait tout le temps cuisiner mais cette année, il y aura des surprises.

Et sur cette phrase, le timide petit Jean, qui a toujours peur de nos réactions, embrasse ma mère. Qu'est-ce que cet élan de confiance ? Je vous le dis, c'est du délire ce soir.

Peu convaincu par son discours, je finis par engloutir une énième falafel.

Du grand délire dans la famille gredin.

Les poissons ne savent pas nagerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant