Lundi trois juin
Bizarrement, Oreille décollée ne m'a pas attendue devant ma salle de classe. Rabattant mon vieux sac sur mes épaules, j'ai traversé la marée humaine. Si je devais comparer les élèves de ce lycée à des animaux, je choisirais les singes. Ils se déplacent en groupe, s'hiérarchisent entre eux et ne peuvent pas vivre les uns sans les autres. Puis, par-dessus tout, ils adorent se chercher des poux.
Les chosent sont devenues étonnement bizarres. D'une part parce qu'Alice semble être devenue totalement amnésique face à son ancien amour de lycée, comme s'il ne s'était jamais rien passé. J'appelle ça le syndrome de la belle au bois dormant. D'autre part parce que Dubois m'évite comme la peste. Ce n'est pas que ça me dérange mais je trouve ça juste insupportable ce revirement de situation.
En plein milieu de la cour, j'ai tout de même réussi à apercevoir Dubois et sa bande de babouins. Tel un cow-boy, j'ai avancé droit vers eux, mes vieilles chaussures de pluie couinant à chacun de mes pas. Cette fois-ci, je n'allais pas le rater. À sa hauteur, je pose une main sur son épaule, les abrutis qui lui servent d'amis me fixent bizarrement mais je finis, enfin, par attirer l'attention du coq. Surpris, ses yeux bleus se posent sur moi. J'aimerais bien qu'il soit mal à l'aise mais c'est moi qui le suis. Et je le déteste pour ça. Maxime se pince les lèvres, passant sa main sur sa nuque.
- Esther ?
Sans blague. Comme si j'avais changé de prénom entre-temps. Un regard mauvais lancé à son égard, il finit par soupirer bruyamment et, ramassant son sac easpack, m'attirer loin de sa bande d'amis. Enfin un geste courtois. Je ne voudrais pas que mon niveau d'intelligence baisse à cause de ces babouins. Une main posée sur mon épaule, il m'oblige à avancer vers un coin reculé. Non, mais je crois rêver. Aurait-il honte de moi ? L'air renfrogné, je continue de le fixer. Il finit par lever les mains comme si je pointais un revolver sur sa personne.
- Je rêve où tu es en train de m'éviter ?
- Quoi ? Non.
Il est clair que Dubois ne participera pas au concours du meilleur menteur. Ou alors il faut qu'il s'entraine. Ne quittant pas ma cible des yeux, c'est-à-dire Dumbo, le sportif finit par lâcher un juron avant de fixer le sol.
- Bon d'accord. Il se pourrait que je t'évite.
- Je peux savoir pourquoi ?
Je pense que ma question est appropriée. Les bras contre ma poitrine, j'ai presque l'air de ressembler à une vieille institutrice des années cinquante que l'on voit dans les films en noir et blanc.
Les gens me surprennent. Ils ont toujours des comportements imprévisibles. Je n'ai jamais de longueur d'avance sur eux. Ils arrivent toujours à me prendre au dépourvu. Ils sont tout le temps indécis. C'est fatiguant. Les yeux bleus de Maxime rencontrent les miens et il finit par poser ses deux mains sur mes épaules. Encore ?
- Je n'arrive pas à gérer ma vie en ce moment. J'ai l'impression d'avancer soit à toute vitesse, soit à reculons.
- Et, parce que tu es paumé, tu m'évites ?
Diable, je ne comprends rien à son charabia. Je ne savais pas que Dubois pouvait être aussi compliqué. On dirait presque un de ces héros dramatiques que l'on trouve dans les pièces de Shakespeare. Honnêtement, je ne serais pas étonnée qu'il me sorte « Être ou ne pas être, telle est la question ». Et si vous voulez plus de précision, je suppose que je serais le vieux crane entre ses mains.
L'illuminé soupire d'exaspération comme si j'étais vraiment débile. Excusez-moi mais c'est difficile de le comprendre en ce moment. Et je suis sûre que vous n'y pigez rien du tout, vous non plus.
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Les poissons ne savent pas nager
Fiksi RemajaEsther est sarcastique. Esther déteste le lycée. Esther hait le sport, les maths et les profs. Entre un père anarco-grognon, une mère complètement lunatique-intrusive, un frère surdoué et un beau-père collant, Esther écrit et parfois philosophe son...