NOAH

45

La main de Noah dans la mienne, nous déambulions dans les rues du quinzième arrondissement de Paris en direction de notre café habituel du vendredi soir. C'était un rituel, qu'on avait instauré avec les gars depuis l'arrivée de Noah, pour qu'elle puisse les voir, pour que je puisse profiter d'elle aussi, avant qu'elle n'aille chez Charlie. Car ça aussi, c'était une habitude. Le vendredi soir, après avoir été dans ce café restaurant, je la déposais chez ma soeur, et je ne la récupérais que le dimanche. Ça avait été un moyen de concilier mon besoin de profiter de ma soit disant jeunesse avec mes gars, comme avant, mais aussi que ma grand soeur profite de Noah, et inversement.

Sur le chemin du retour de l'école, et comme à son habitude, Noah ne me racontait pas grand chose. Elle se contentait d'un oui ou d'un non, d'une phrase simple sur sa journée en réponse à l'une de mes questions. Pourtant, elle était heureuse, ça se voyait. Elle avait gardé l'habitude de courir dans mes jambes lorsqu'elle m'apercevait, ou de caresser mon bouc lorsque, tout sourire, je lui demandais comment s'était passé sa journée. Elle s'exprimait souvent par les gestes, ce qui contrastait avec mon fonctionnement. Moi qui jouais avec les mots, je me retrouvais avec Noah, qui préférais le silence.
Mais elle savait aussi tenir une conversation orale, à l'image d'une enfant de quatre ans bien sur, n'allez pas lui parler de Balzac, donc au final, ça m'inquiétais pas trop.

- On arrive quand ?

Baissant les yeux vers elle, alors que nous étions à l'arrêt au passage piéton, je la regardais plonger sa tête contre ma cuisse, alors que ses bras restaient ballants contre son corps.

- Dans même pas deux minutes. Tu reconnais pas la route ?

Je la sentais hocher la tête de droite à gauche, me répondant silencieusement par la négative.
Un klaxon me fit relever la tête, et nous rejoignons l'autre côté de la route, nous permettant désormais d'apercevoir le café de loin.
Sentant que Noah marchait de plus en plus lentement, retardant ma cadence, je lui proposais de la porter, ce qu'elle acceptait, comme à son habitude, sachant qu'elle pourrait se réchauffer du froid polaire de ce mois de décembre sous une partie de ma capuche.

- Tu vas prendre quoi à manger aujourd'hui ?

Tous les vendredis, c'était la même histoire, j'essayais de lui faire goûter un truc nouveau. Le café où nous avions l'habitude d'aller avec les gars était davantage un salon de thé qu'un café, et proposait un vaste choix de pâtisseries, de boissons chaudes, de toutes les origines. Pourtant, Noah, a mon grand regret, restait tous les vendredis sur le même menu, à savoir un chocolat chaud supplément chantilly et un muffin au chocolat.

- Du chocolat !

Je soufflais, un sourire aux lèvres, en ayant anticipé sa réponse à milles kilomètres.

- Tiens, c'est fou ça, t'as pris la même chose la semaine dernière. Et celle d'avant aussi d'ailleurs.

Je la sentais hausser les épaules, ce qui fit élargir mon sourire rieur. Arrivant enfin face à la devanture de notre lieu de rendez vous, j'apercevais par la vitrine les frères, attablés à la grande table que nous monopolisions tous les vendredis après midi. 
Entrant dans la boutique, je passais d'abord devant le comptoir, pour saluer Amir, le gérant du lieu, un ami de longue date.

- Je te met comme d'habitude Nek ?

- Rajoute un truc à la fraise ste'plait. N'importe quoi.

Il riait, hochant la tête et se retournant pour répondre à d'autres clients. Il était habitué à ce que je lui demande ce genre de chose, dans l'objectif de faire goûter quelque chose d'autre a Noah. Mais elle n'y adhérait que rarement, et la pâtisserie finissait bien souvent dans la bouche de Moh ou celle de Deen, pour leur plus grand bonheur.
Déposant le sac de Noah au sol, près des deux chaises qui nous avaient été réservés par les premiers arrivants, je retirais les nombreuses couches de vêtements de cette dernière, plus vraiment nécessaire avec la chaleur du lieu.
Comme à son habitude, Noah se dirigeait instinctivement vers Moh, puis hésitait longuement entre les genoux de ses derniers et ceux de Burb. Ils y étaient habitués, alors ça devenait comme un jeu pour eux.