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Installé au fond du fauteuil en cuir rouge, abîmé par les nombreuses brûlures de cigarettes, je me contentais d'écouter mes potes hurler par dessus la musique forte du bar ambiance. Nous venions ici depuis notre adolescence, la lumière rouge tamisée et la déco burlesque nous avait toujours fait de l'effet. L'odeur y était terrible, un mélange de tabac froid, de rhum arrangé et de transpiration, la population, en grande partie féminine, avait su combler nos envies dans notre jeunesse, et le gérant, savait nous faire revenir avec ses cocktails de toutes origines.
Moh m'y avait tiré de force ce soir là, en insistant sur le fait que toute la bande nous y attendait, et je n'avais pas su résister lorsque ma soeur m'avait confirmé qu'elle pouvait rester avec Noah.
Une cigarette dans la main droite, un verre de whisky dans l'autre, j'écoutais et participais aux conversations et délires de tout genre de mon groupe d'ami. Une partie de mon esprit avait pourtant du mal à me libérer de l'image de Noah, mais j'étais surpris de voir que je supportais bien cette soirée, et qu'elle me faisait le plus grand bien. Je rigolais, je fumais, je buvais, et je profitais au maximum de ces instants de liberté.

- Regardez lui la bas, Deen, complètement arraché, pointait du doigt un type au regard louche avec une queue de rat, lui il pense sexe.

Nous éclations de rire, surveillant quand même les agissements de l'homme, même si, dans ce bar, personne ne craignait grand chose.
Quelques éclats de rire plus tard, nous étions désormais entourés de plusieurs femmes, toutes plus pulpeuses et aguicheuses les unes que les autres. J'avais, depuis quelques années, arrêter de céder à ces vices, espérant tomber sur la bonne ou préférant rester tranquille, mais ce soir, je comptais m'amuser.
Moh prenait un malin plaisir à danser des sourcils à chaque regard croisé, voulant sûrement mettre un plan à exécution.
L'une d'entre elle était déjà proche de moi, assise sur le fauteuil à ma droite, jouant d'une main avec ses longs cheveux châtains, l'autre tournant la paille de son Mojito. Elle était belle, mais n'était pas jolie, et je voyais une grande différence dans ces termes. Mais ça devrait suffire.
Je la voyais faire, s'approcher petit à petit, fixer mon cure dent tourner entre les lèvres, placer sa main sur ma cuisse lorsqu'elle rigolait à l'une de mes anecdotes. Je m'amusais, mais je n'arrivais toujours pas à réfléchir comme il y a plusieurs années.
Lorsqu'elle posait sa main sur mon torse, que son visage s'approchait du mien, qu'elle gloussait face à mon regard aguicheur, l'écran de mon téléphone posé sur la table s'illuminait, forçant nos regards à se détacher pour le regarder.
Elle restait alors bloquée quelques secondes sur le fond d'écran de mon téléphone, illustrant Noah sur la plage pendant nos vacances dans le sud, les gars en fond. Je fixais son visage, attendant de voir sa réaction, et ne m'inquiétais que peu du message de ma soeur, à l'origine de ce moment gênant.
Lentement, elle déglutissait, détachait sa main de mon torse, et d'un sourire gêné, se levait du fauteuil, replaçais sa robe un peu trop courte et repartais vers le bar en me lançant une courte phrase polie.
Je soufflais d'agacement, me laissant retomber au fond de mon fauteuil en cuir, et terminait mon verre de whisky. Bordel ce que les femmes étaient compliquées. Je peux comprendre qu'un enfant ça fait peur, mais je suis tout autant flippé qu'elle et je ne demandais pas non plus le mariage, juste une union d'un soir.
Lassé d'observer mes amis s'amuser entre eux ou avec d'autres femmes, je me levais brusquement, saluais Moh d'un coup d'œil, et sortait de ce bar, dont l'ambiance commençait à devenir presque oppressante.
Le bol d'air frais de ce mois d'octobre emplissait mes poumons, mais je ne leur laissait que peu de temps de répit en allumant une nouvelle cigarette.
Le message de ma soeur, qui avait fait foiré ma nuit, n'était rien d'important, elle m'indiquait simplement qu'elle voulait pouvoir partir avant dix heures le lendemain et donc qu'il fallait que je soit à l'heure.
Je déambulais dans les rues de Paris, profitant du calme de cette heure tardive, faisant durer au maximum ce sentiment de liberté, qui le quitterait un peu lorsque je rentrerai. La soirée n'avait finalement pas conclue comme je l'avais imaginé, mais ce moment de solitude et de calme sous la lumière de la lune m'offrait un plaisir bien plus important. J'étais seul, assis sur un banc aux quais de Seine, et petit à petit, j'observais la clarté du jour prendre la place de la noirceur de la nuit.
Ce n'est qu'aux alentours de six heures du matin que le calme semblait s'évaporer au détriment de quelques voitures en plus, quelques vagabonds pressés, quelques travailleurs acharnés.
Ici, un vieil homme marchait à la hâte en tenant une vieille mallette en cuir, là, une jeune femme aux cheveux courts marchait rapidement, faisant voler derrière elle une partie de son écharpe.
Et puis, soudain, elle se prenait les pieds sur le trottoir, et tombait à genoux sur le sol. Je l'entendais jurer, et me levais, tendant la main par politesse. La jeune femme levait ses yeux noirs entourés de lourdes cernes vers moi, et jurais une nouvelle fois en attrapant ma main.

NOAHOù les histoires vivent. Découvrez maintenant