43 | Le procès

112 9 2
                                    


Le jour tant attendu était arrivé.

Dans la salle de tribunal, Sodjo Allen réfléchissait, comme à chaque instant de sa vie. Elle réfléchissait encore et encore. Elle avait l'habitude, elle ne faisait que ça depuis trente-cinq ans.

La brune jouait avec ses doigts qu'elle ne faisait d'ailleurs que fixer avec intensité. Le stresse montait. Pour quelle raison est-ce qu'elle le sentait aussi mal ?

Plusieurs toussotements se faisaient entendre mais cela n'avait pas suffi à sortir Sodjo Allen de ses pensées. Alors le juge l'interpella directement, ce qui l'incita à lever son regard vers l'homme ;

« Vous pouvez commencer, Maître Allen. »

Il y eut un moment de pause, elle n'avait pas su quoi faire. Son souffle était inaudible, c'était comme si elle était morte et vivante à la fois.

Sodjo se redressait et quittait son siège, elle s'appuyait sur la table. Ignorant les légers tremblements qui parcouraient son corps. C'était enfin le bouquet final. Ce pour quoi elle s'était battue pendant des mois. Elle voyait enfin le bout du tunnel et ça lui semblait être incroyable.

Les mains jointes entre elles, Sodjo Allen marcha jusqu'à parvenir devant les jurés. La salle, bien que pleine à rabord, était plongée dans un silence mortuaire et seul le bruit aigu des escarpins de l'avocate se faisait entendre.

« Beaucoup d'entre vous... si ce n'est tous... savent que j'ai disparu des radars pendants plus d'un mois. Au cours de ce mois, j'ai vécu et vu des choses auxquelles je ne m'attendais pas. C'était dur et enrichissant à la fois. J'en suis ressortie plus forte et à aucun moment, vous m'entendez ? À aucun moment je n'ai perdu de vue mon objectif... Pourquoi te caches-tu Sodjo ? Pour la paix, pour la justice. C'est tout ce que je désire. Du plus profond de mon âme. »

La femme redressait sa posture et tournait légèrement sur elle. Elle marquait un silence alors qu'un sourire venait étirer ses lèvres.

« Hier, je suis allée au parc avec mon fils, dit-elle finalement. J'avais envie de passer du temps avec lui. Ça m'a fait du bien et je pense qu'à lui aussi. Et puis, un moment, il voulait absolument monter sur le toboggan alors je l'ai laissé faire. De mon banc, je l'apercevais. Jouer et glousser. Son rire était communicatif et je riais avec son garçon. Jusqu'au moment où j'ai été frappé par cette dure réalité qu'est la vie. Cette réalité à laquelle on est tous confronté un jour... »

Sodjo prononçait la fin de sa phrase à travers des dents serrées ;

« La mort. »

Il n'y eut plus aucun bruit dans la pièce entière.

Sodjo Allen avait pourtant elle-même rédigé son texte mais c'était comme si ça lui avait fait du mal de prononcer la fin de sa phrase. Comme si elle ne voulait pas l'accepter mais qu'elle n'avait pas le choix parce que c'était ainsi et pas autrement. La mort, elle l'avait vue emporter sa famille et elle l'avait également vue de très près.

« Avoir une famille, c'est tout ce que l'on peut souhaiter. Avoir une famille c'est avoir réussi. Des parents, des frères et sœurs, des enfants, être mariés... Avoir une des choses là c'est avoir réussi quelque chose de sensationnel. C'est un bonheur immense. Et quand ce bonheur vous est arraché de la façon la plus odieuse et la plus inhumaine qui soit... Et vous, que feriez-vous ? Si on vous enlevait votre père, votre mère, votre frère, votre sœur, l'amour de votre vie ou encore la chère de votre chère. Eh bien, que feriez-vous ? »

Allen avait balayé l'air de sa main alors qu'elle s'était remise à marcher, d'un pas volontairement lent. Son but était d'instaurer une ambiance spéciale qui donnerait aux jurés la possibilité de se mettre totalement à la place des victimes.

« Mesdames, messieurs les jurés. Monsieur le juge et tous ceux qui m'écoutez... Ce que je vous demande est assez simple en réalité. Ouvrir les yeux et faire preuve d'humanité pour nous permettre d'avancer vers un monde plus équitable et où nous tournerons le dos, définitivement, à cette justice qui stigmatise une majorité pour favoriser une minorité. »

Sodjo se tue une nouvelle fois. Son regard qui s'était posé sur les jurés s'intensifia brusquement. Ses paroles les avaient tous atteint.

Elle profita de ce moment pour regarder un à un chacun des personnes assises sur l'estrade en face d'elle. Alors qu'elle semblait se diriger vers le côté de la défense, elle s'arrêtait avant de fixer Akira Yamaguchi qui la regardait déjà d'un air suffisant.

« L'homme que voici... cet homme ici présent... cet homme qui est tranquillement assis sur cette chaise à mille dollars... il est l'incarnation même de la phrase qui dit méfiez-vous des apparences. Je vous le présente, si vous ne le connaissez pas. Akira Yamaguchi. Un chef d'entreprise ? Bien sûr que non, ne soyez pas naïfs. Ceci est l'un des plus gros barons de la drogue que le monde ait jamais porté. Et pour qui la vie des autres n'a aucune valeur. Et c'est faux. C'est complètement faux et ça le restera. La vie humaine n'a pas de prix, elle est inestimable. Si vous vous prononcez en faveur de ce barbare qu'est monsieur Yamaguchi alors vous confirmerez légalement qu'une justice pour les morts est surfaite et inutile. »

Elle redressa complètement sa posture et lança à l'accusé un regard dont le mépris était si intense que celui-ci frissonna.

« Vous devez considérer ça comme un crime traduit par une succession de meurtres de masse. Parce qu'il existe un crime plus grave, un problème plus grave. Nous avons un problème. Le pays, le monde tout entier a un problème. Combien de morts faut-il encore pour que vous dites stop ? Ça suffit ? »

Sodjo Allen tendit son bras, sa main tenant la télécommande de la télévision. Et, lorsque cette dernière s'allumait, une compilation d'un nombre incalculable de photos était affichée.

Elle recula de quelques pas, soupirant longuement avant de se mettre à énumérer une suite de noms.

« Caroline Johnson, Phill Brad, Hizo Glen, Phill Couper, Maikel Angel, Reinier García, Edel, Fernández, Maikel González, Karel López, Ernesto Quispe, Sky Linsey, Julie Moor, Marc June, Coranne Aniel, Flavie Echivez, Seven Blaze... et tellement, tellement d'autres... Faites leur savoir. À tous. À toutes. Que leur vie comptait. Et que leurs mémoires seront éternelles. »

La brunette se remit à marcher, elle se trouvait encore une fois face aux jurés, ses mains se posaient sur la poutre qui la séparait d'eux.

« Akira Yamaguchi n'est pas l'homme qu'il prétend être, je le sais et vous qui avez suivi cette affaire depuis le début, la savez mieux que personne. »

Puis, sa tête se tournait et son regard venait percuter pour la énième fois celui d'Akira qui la regardait toujours avec rage et mépris. Mais, elle ne s'arrêta pas pour autant. Elle était loin d'avoir peur de lui.

« Akira Yamaguchi est coupable de meurtre au premier degré avec et sans préméditation. »

À suivre...

Nicky Larson \/ Quel est notre lien ? | TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant