Le secret de Naïa

Chapitre 12 ( partie 2)

L'inspecteur Rowland m'attendait à l'extérieur, une expression neutre sur le visage, les bras croisés sur sa poitrine. Il tourna la tête vers moi lorsque je sortis, d'un air indifférent. Je ne détournais pas le regard, et doucement m'approchai de lui en traînant des pieds.

— Mon oncle Aymeric est le prochain sur la liste, lançai-je d'un ton calme malgré le sang qui bouillonnait à mes oreilles.

Il me fixa en silence un long moment, une expression pensive sur le visage.

— Pourquoi pense t-il cela ?

Je haussai les épaules.

— Comme cette chose s'attaque aux mêmes personnes de l'entourage de mes parents, il a des raisons de penser ça. Mon oncle est revenu dans la région ce matin même.

— A t-il vu quelque chose ?

Je le sondai attentivement, déterminant ce qu'il pouvait bien penser. Si je lui disais pour la mère de Naïa et les Naïades, me croirait-il ? Rien ne pouvait m'empêcher de lui raconter ce qu'Andrew avait vu, je n'aurais pas à mentir à l'inspecteur.

— Il a entendu la voix d'une femme, elle l'appelait inlassablement, le poussant à se noyer. Il a également aperçu un éclair vert peu avant de perdre connaissance.

— Ça n'a aucun sens, dit-il en se grattant le menton. Comment une femme pourrait faire une chose pareille et inciter un homme à se noyer ?

Je détournais le regard, observant d'un œil distrait les visiteurs qui entraient dans la chambre voisine.

— Je pense qu'il ne s'agit pas seulement d'une femme, mais quelque chose d'autre. De plus puissant, et bien plus ancien. Avez-vous entendu quelque chose à propos des Naïades ? Tentai-je en lui jetant un coup d'œil furtif.

Un voile de surprise mêlée d'inquiétude traversa son visage, avant de laisser à nouveau place au masque.

— L'ancêtre de la Sirène ? Bien sûr. Mais ce ne sont que des légendes sans fondements.

— Et si ce n'était pas que des légendes ? Si elle avaient déjà sévi il y a vingt ans, et étaient revenus achever leur sombre besogne ?

Il secoua la tête.

— C'est impossible. Où as-tu été chercher des bêtises pareilles ?

— Mon père a fait des recherche sur ces créatures, il en a peut être trouvé, ce qui a causé sa disparition !

Il sembla se crisper. Il ne me croyait pas, ou ne voulait pas y croire, c'était évident. Je n'aurais aucun soutien de sa part.

— Je comprends que tu aie du mal à accepter la mort de tes parents, et que tu ai besoin de justifier leur disparition tragique. Mais de là à inventer de telles inepties !

Je m'apprêtai à répondre lorsqu'une main posée sur mon épaule m'en empêcha. Surpris je sursautai et me retournai pour voir qui était le nouveau venu. Shane. Évidemment. J'aurais dû me douter que je le verrais aujourd'hui, Andrew était son père après tout. Il n'avait pas l'air très frais, sans doute les séquelles de la soirée d'hier. Il avait d'énormes cernes sous ses yeux bouffis et rouges, et ses cheveux n'avaient jamais été aussi indisciplinés.

L'inspecteur Rowland le dévisagea un instant avant de finalement battre en retraite, et s'installer un peu plus loin, les bras croisés et la tête baissée.

— Alors c'est ça que mon vieux t'a raconté ? Qu'il s'est fait attaqué par une Sirène ?

Je me crispai, soudain tendu. Merde il avait tout entendu. Vu l'air amusé qu'il affichait, il ne me croyait pas non plus.

Shane fixa la porte de la chambre avec un soupir las, l'air fatigué.

— C'est juste une supposition, me défendis-je. Mais ton père en es persuadé lui aussi.

Shane haussa les épaules, l'air distrait.

— Mon vieux est persuadé de beaucoup de choses tu sais, il est devenu un peu sénile depuis la disparition de tes parents.

Sans doute parce qu'il savait pertinemment qu'il était le prochain sur la liste, mais je gardais cette réflexion pour moi. Inutile de jeter de l'huile sur le feu.

— Il fait une attaque en ce moment, donc reste dans le coin pour supporter ton père.

Les infirmières sortirent de la chambre finalement. Andrew allait bien et avait besoin de repos à présent. Plus personne apte à l'interroger n'était autorisé à entrer dans la chambre. L'inspecteur Rowland nous salua d'un signe de tête, et disparut au bout du couloir, non sans me prier de l'appeler si il se passait quoique ce soit.

Shane s'écroula dans une des chaises du couloir, en poussant un long soupir.

— Tu peux rester avec moi mec ? J'ai pas envie de rester ici tout seul.

J'hésitai un instant. Je mourrais d'envie de questionner Aymeric et de confronter Naïa, afin de pouvoir peut-être enfin avancer. Mais Shane était mon ami, et il avait besoin de moi, aussi chiant qu'il puisse être. Je m'affalai alors à ses côtés avec un grognement, soudain épuisé moi aussi.

Nous restâmes un long moment silencieux, à attendre qu'Andrew se réveille.

— Tu y crois vraiment à ta théorie sur les Sirènes ? Lâcha Shane finalement d'une voix rauque.

Je restai impassible, n'osant le regarder, de peur de sa réaction.

— Je sais que ça paraît dingue, et que tu dois me prendre pour un fou, mais j'ai de gros doutes, confiai-je d'une voix lasse. J'ai moi aussi aperçu cet éclair vert juste avant de perdre connaissance. Quand j'ai surfé hier après-midi avec Naïa, l'océan m'appelait, m'hypnotisait.

Je le sentis se tourner vers moi, son regard incrédule qui me parcourait.

— C'est l'océan le coupable de tout ça ? L'océan t'appelle et t'incite à te noyer ?

J'ouvris la bouche pour répondre, avant de me raviser. Malgré lui et son ton moqueur, il avait mis le doigt sur quelque chose d'intéressant.

Tous ces corps avaient été retrouvés sur la plage, humides comme si ils s'étaient noyés, malgré les morsures profondes. Lorsque de ma dernière session, la voix venait des entrailles de l'océan, sous la surface de l'eau. J'avais été complètement hypnotisé par cette voix, prêt à plonger à nouveau à l'intérieur, ayant perdu toute raison. Comme par hasard ce jour-là, Naïa avait crié, me  déconcentrant. Savait-elle ce qu'il se passait et m'avait-elle sauvé ? C'était plausible. Elle avait même soigné ma jambe miraculeusement, ce qui n'avait pas de sens si vraiment elle était une Naïade ou une Sirène.

Et cette mystérieuse Mère autoritaire et absente, qui selon les sœurs, me surveillait. Comme je ne l'avais jamais remarqué, si elle aussi était une de ces créatures, elle ne pouvait le faire que de l'océan. Elle restait dans les eaux, attendant de passer à l'acte, restant invisible aux yeux du monde.

C'était la seule explication. Je devais parler à Naïa, pour tirer cette histoire au clair. Même si elle me mentait, son corps, son regard la trahirait forcément.

— Je dois te laisser Shane, je dois aller voir Naïa, dit-je en me levant brusquement, le faisant sursauter.

Il leva ses yeux bouffis vers moi, d'un air hagard.

— Le canon que tu as amené à la soirée ? Elle a quelque chose à voir avec cette histoire ?

— Je ne sais pas encore, mais j'ai bien l'intention de le découvrir, marmonnai-je.

Je n'eus pas le temps de m'éloigner lorsqu'un hurlement me stoppa dans mon élan. Il provenait de la chambre d'Andrew. Shane et moi échangeons un regard emplis de panique, et en un seul mouvement, nous nous précipitons dans la chambre. La porte s'ouvrit à la volée dans une telle violence qu'elle s'écrasa contre le mur dans un vacarme strident.

Nous nous figeons devant le spectacle macabre qui s'offrait devant nous.

Andrew, désespéré et terrorisé, c'était coupé une oreille, et s'attaquait maintenant à l'autre, dans un grand cri de douleur.