Chapitre 6 (partie 2)

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Sans un mot, nous empruntâmes le trajet inverse, tout comme deux jours précédent. La sensation de malaise diminua au fur et à mesure que je m'éloignai de la maison, mais la tempête en moi rugissait.

Naïa était si près de moi, que je n'avais qu'à tendre le doigt pour la toucher. Et je mourrais d'envie de sentir sa peau à nouveau contre la mienne, de sentir son odeur me caresser les sens. Mais je me retins.

Nous descendîmes les marches en bois en silence, avec le son des vagues s'écrasant contre les rochers et ceux des hiboux en bruit de fond. Je marchais volontairement lentement, afin de retarder le plus possible le moment où je devrais la quitte à nouveau.

Enfin Naïa rompit le silence pesant qui régnait entre nous.

— Je suis désolée du comportement de mes sœurs, elles n'ont pas l'habitude de voir des inconnus.

J'arquai un sourcil, ravi de pouvoir parler encore un peu avec elle.

— Ce n'est rien, mais vous devez bien avoir de la famille, des amis, non ?

Elle secoua la tête.

— Non. Nous n'avons jamais été que toutes les trois. Personne d'autre.

— Jamais ?

— Jamais.

Comment pouvait-elle ne jamais côtoyer personne d'autre que sa famille ?J'aimais ma grand-mère et Noah plus que tout, mais si je ne devais voir qu'eux tous les jours, je deviendrais fou.

Elle haussa les épaules.

— Ça ne nous a jamais dérangées, nous avons toujours été habituées comme ça. Enfin du moins jusqu'à maintenant.

Elle me jeta un regard entendu qui m'embrasa. Je ne savais comment l'interpréter, mais cela affola mon corps.

— Tu es très différente de tes sœurs, lançai-je. Elles savent montrer leurs émotions, mais toi non. Je n'arrive pas à lire en toi.

Elle afficha un sourire, qui brilla parmi la lueur du crépuscule.

— Je préfère n'être pas si facile à déchiffrer pour toi. Ce serait bien trop simple, et ça gâcherait le plaisir.

Bon Dieu, elle était si belle que ça en était presque indécent, et je dus me faire violence pour ne pas laisser mon esprit divaguer à des pensées salaces inconvenantes.

Nous étions arrivés en bas de la falaise, et je m'aperçus avec plaisir qu'elle me suivait sur la route de ma maison, de l'autre côté de la plage. Mon regard dériva automatiquement sur l'endroit où j'avais retrouvé Joe, à quelques pas seulement de ma boutique. Naïa suivit mon regard et comprit.

— C'est ici n'est-ce pas ?

Je hochai la tête. La vue de son corps inerte baignant dans son sang était bien trop ancré dans mes souvenirs pour que je l'oublie aussi facilement. J'aurais cette image en tête chaque matin en allant travailler, chaque soir en fermant. Cette image avait brisé le havre de paix que je m'étais forgé.

Naïa tendit la main, comme pour prendre la mienne, puis se ravisa au dernier moment.

— Certains souvenirs indélébile ne s'oublie pas, mais ils diminuent avec le temps, murmura t-elle, les yeux dans le vague, plus pour elle même qu'à mon attention.

— Tu as perdu quelqu'un qui t'étais cher ? Tentai-je prudemment.

J'étais ravi de pouvoir saisir l'occasion qu'elle me tendait d'en apprendre un peu plus sur elle, mais je ne voulais pas la brusquer.

— Ma sœur Irina, répondit-elle dans un souffle.

Pour la première fois , je pus apercevoir l'émotion dans son regard. La douleur, le regret, la colère. Ce fut rapide, bref mais bel et bien là, ancrée en elle depuis fort longtemps. Elle se ravisa rapidement, et me fit un sourire damner au sol.

— Les morts ne disparaissent jamais vraiment. Ils sont là avec nous, et ne nous quittent jamais. Irina est toujours avec moi.

Je n'en doutais pas. La maison que j'avais hérité de mes parents, n'avait pas changé, depuis leur disparition quelque mois plus tôt. Leur chambre, leur bureau, avait été laissé tel quel, comme je l'avais souhaité, comme si ils allaient rentrer d'une minute à l'autre. Je n'avais encore jamais osé y entrer, pour ranger, nettoyer ou faire quelque chose de cette pièce. J'avais besoin de sentir leur présence dans cette chambre, comme si tous ces mois n'avaient été qu'un mauvais rêve. Leur mort me paraissait presque irréel à présent.

— Je comprend ce que tu ressens, admis-je d'un ton calme.

Nous étions arrivés sous le perron de ma maison. Une lumière filtrait à travers les rideaux fermés, ma grand-mère et Noah devaient m'attendre, impatients. Mais l'idée de quitter Naïa me répugnait. Je me tournai vers elle, indécis.

— C'est là, dis-je, comme un imbécile.

Je me triturai les mains d'un geste nerveux, ne sachant quoi ajouter. Heureusement Naïa vint à me rescousse.

— Tu me dois un cours de surf, lança t-elle, son sourire aux lèvres. Tu as un cours de prévu dans les jours à venir ?

Mon cœur bondit de joie, à la fois à l'idée de la revoir aussi rapidement, mais également à celle de retourner bientôt sur ma planche.

— Bien sûr, bégayai-je d'un ton maladroit. Demain dans l'après-midi ça t'irait ?

Son visage angélique se fendit d'un sourire.

— Je ne manquerai ça pour rien au monde.

— Je t'attends demain, donc.

Elle acquiesça et se tourna pour partir. Mais elle me jeta un dernier coup d'œil, et lança d'un ton grave.

— Je t'interdis d'aller dans l'eau sans moi, c'est compris ?

Avant que je puisse réagir, sans un bruit, elle disparut dans l'obscurité qui avalait la plage.





Le secret de NaïaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant