Chapitre 18 ( partie 1)

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La surprise me paralysa et elle n'eut aucun mal à m'emporter sous la surface, là où s'étendait un monde dont j'ignorai l'existence. Mes poumons se vidèrent de leur air. Paniqué, je commençai à agiter les bras pour remonter à l'air libre, mais Siriane pris mon visage entre ses doigts devenus glacés malgré la froide température de l'eau, rompant notre baiser, et m'intima du regard de rester tranquille. Ses cheveux noirs volaient au dessus de sa tête, bercés par les remous de sa Mère, qui s'agitait, impatiente tout autour de nous.

— Tu n'as rien à craindre tant que tu restes près de moi.

Sa voix sous l'eau était encore plus mélodieuse que sur la terre ferme, devenant presque une chanson à mes oreilles où le sang bourdonnait à mes tempes.

Sa voix mielleuse me détendit, et je me laissai flotter doucement dans les bras de sa Mère. A ma grande surprise, ma vision ne se brouilla pas, au contraire. Je distinguai tout avec clarté, les rayons du soleil qui traversait la coque de la mer, chaque bulle d'air, chaque grain de poussière avec précision. Mais surtout, je ne respirai pas, je ne suffoquai pas. Mes poumons restaient vides mais ne se gorgeai pas d'eau. Ma poitrine n'était pas oppressé par le poids de la mer sur mon corps. Je me sentais libre et léger.

Siriane me prit par la main, sa robe virevoltant autour d'elle, puis soudain nous étions loin du rivage. La mer nous poussait aussi rapidement qu'elle le pouvait, mais nous ne devions pas peser plus lourd qu'un grain de riz pour Elle.

Tout autour de nous se mélangeait en un brouillon difforme, où je perdis tout mes repères, d'un bleu sombre comme la nuit. Mes cheveux plaqués sur mon crâne, serrant le plus fort possible la main de la Sirène, je gardai fermement la bouche fermée durant le voyage, par réflexe. Puis soudain tout s'arrêta brusquement, des centaines de petites bulles d'air remontaient le long de mon corps pour s'échapper à la surface, me brouillant la vue.

Quand enfin le nuage se dissipa, je me retrouvai face à une montagne de rochers, recouverts de mousses et d'algues, d'un vert luisant, dont le tranchant était aussi aiguisés que des centaines de petits couteaux.

Je cherchai Siriane du regard et la vit se diriger en ondulant des hanches vers la paroi rocheuse. Bon sang, cette robe ne cachait absolument rien de ses attributs féminins. Même Naïa, je ne l'avais jamais vu aussi dévêtue d'aussi près.

Naïa.

Je me ressaisis et l'imitai, évitant de m'arracher la peau avec les rochers. Lorsque j'arrivai à sa hauteur, elle était déjà presque arrivée à la surface, accrochée à une échelle. Le vent me lacéra le visage lorsque enfin je sortis à l'air libre. Mes poumons se remplirent brusquement d'air, et j'haletai comme une âme en peine, accroché comme je pouvais aux barreaux. Ma poitrine, compressé par l'eau, se soulevait difficilement tandis que j'inspirai bruyamment.

— J'espère qu'il te reste encore un peu de souffle, j'ai besoin que tu arrives en un seul morceau là-haut, ricana Siriane au dessus de moi.

Je levai les yeux en secouant la tête pour y voir clair, et dégagea mes cheveux collés à mon visage. L'échelle montait jusqu'en haut de la falaise où m'attendait Naïa. Sa sœur aînée avait déjà un peu d'avance, elle avançait avec des gestes sûrs et confiant, sans aucune hésitation.

Réprimant un frisson, je m'attelai à la tâche et grimpai à mon tour, beaucoup plus lentement. Après un moment qui me paru interminable, j'arrivai enfin en haut, soufflant comme un bœuf, frigorifié parmes vêtements mouillés, les poumons en feu après mon séjour sous l'eau. Je m'affalai sur le sol, un petit ponton en bois, tentant de retrouver mon souffle. Siriane apparut au dessus de moi, les poings sur les hanches.

— Ce n'est pas le moment de dormir Blanche Neige, il y a urgence là. Allez debout !

Je poussai un soupir et me relevai péniblement. J'eus un léger vertige, mais elle m'empêcha de m'écrouler au sol.

— Si fragile, marmonna t-elle d'un air dédaigneux.

Elle me soutint, mis mon bras autour de ses épaules, puis nous avançons vers la maison, située un peu plus loin dans les hauteurs. Elle calqua son rythme sur le mien, non sans un soupir d'exaspération. Embarrassé par la proximité de son corps et de son baiser, je gardai mes yeux baissés sur mes pieds, concentré pour ne pas tomber sur le chemin tortueux.

— Pourquoi m'as-tu embrassé ? Demandai-je finalement à voix basse, persuadé qu'elle pouvait m'entendre. Naïa est ta sœur, elle risque de t'en vouloir.

Je la sentis hausser des épaules.

— Seul mon baiser pouvait te permettre de respirer sous l'eau et de ne pas mourir asphyxié. C'était bien plus rapide en passant par la mer que sur la terre.

— Tu m'as transmis un peu de ton pouvoir via ton baiser ? M'étonnai-je.

— On peut dire ça. Mais c'est temporaire. Je te déconseille de tenter l'expérience pour le retour.

Nous arrivâmes enfin à la petite maison, qui était identique à mon souvenir, vieille et délabrée. Siriane ouvrit la porte en bois, qui donnait sur l'arrière de la maison, l'odeur de sel et de mer me frappa à la gorge, et je levai les yeux.

L'intérieur avait bien changé en revanche. Les meubles en bois de chêne, débarrassés des draps blancs poussiéreux, brillaient d'une lueur vernie, dégageant l'empreinte chaleureuse d'un foyer. Des tas de coussins inondaient le canapé, des fleurs étaient disposées un peu partout, leur doux arôme embaumant la pièce, sans toutefois parvenir à dominer celle de la mer. Du sable jonchait le sol, couvrant le sublime parquet que l'on devinait sous l'épaisse couche. Un magnifique piano à queue trônait fièrement dans un coin de la pièce, caressé par les doux rayons du soleil de midi.

Je n'eus pas le temps de continuer mon exploration lorsqu'une masse de cheveux bruns emmêlés entra dans mon champ de vision. Le petit corps me serra contre lui, me coupant le souffle par sa force.

— Illian, ça fait si longtemps ! S'exclama Théa d'un ton joyeux, compte tenu des circonstances. Je ne m'attendais pas à ce que Siriane réussisse à t'amener ici. Je m'étais proposée de le faire, bien sûr mais ma sœur a tenu à le faire elle-même.

— Lâche le Théa, tu l'opprime.

La petite sœur de Naïa me lâcha enfin, et je repris doucement mon souffle. Elle sautillait d'impatience, comme une enfant attendant le jour de Noël. Son visage ravi contrastait férocement avec le visage fermé de son aînée.

— Excuse moi Illian, je n'étais pas à ma place. J'espère que ma sœur ne t'as pas trop malmené ?

— Ça suffit, ne perdons pas plus de temps, la coupa Siriane d'un ton sec. On a autre chose de plus urgent sur le feu.

Elle se tourna vers moi, l'air soudain grave.

— Je vais te conduire à sa chambre, après ce sera à toi de jouer. Ne me déçois pas, sinon je ne te serais plus aussi agréable à regarder.

Je rougis d'embarras devant son allusion. La menace était subtile mais efficace. Je la suivis sans demander mon reste jusqu'à une porte en bois à l'étage, suivant le sable. Elle me jeta un dernier regard d'espoir, puis disparut, me laissant seul sur le seuil de la chambre de Naïa. Celle-ci devait avoir entendu notre arrivée.

La main sur la poignée, j'ouvris la porte qui émit un grincement sinistre, lui confirmant ma présence. La pièce était petite mais accueillante. Les poutres au plafond s'alignaient parfaitement avec le parquet au sol, dépourvu de sable curieusement. Un lit en bois sculpté trônait dans un coin de la pièce, le seul endroit qui n'était pas recouvert de vêtements ou de papiers froissés.

Une table à dessin se situait de l'autre côté, jonchée de fusains, de crayons, de tubes de peintures, de pinceaux. Des toiles ou carnet à croquis, achevées ou à demi terminée, traînaient sur le sol ou les meubles.

Enfin au fond de la chambre, assise sur le rebord de la fenêtre, ses genoux repliés sous la poitrine se trouvait Naïa. La tête posée contre la vitre, elle regardait à l'extérieur d'un air vide, emmitouflée dans un plaid. La vue que lui offrait sa chambre était rivée sur la mer, qui s'agitait nerveusement à l'horizon, comme si elle la suppliait de revenir. 

Le secret de NaïaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant