Chapitre 1.2: Oppression

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— Alerte intrusion ! Alerte intrusion ! Veuillez rester calmes, soyez attentifs et faites silence ! Veuillez mettre en place les mesures de sécurisation.

Telle est la seule voix que nous entendons. À cet instant, je maudis les techniciens qui ont décidé de changer les alarmes. Ils étaient obligés de rajouter ce message ? Car franchement entendre une voix robotique nous répéter constamment à quel point nous sommes en danger n'aide pas à se détendre.

Je fixe l'horloge face à moi. L'aiguille des minutes est le seul mouvement perceptible dans la salle, le seul indicateur du temps qui passe. Pas de nouvelle, bonne nouvelle, n'est-ce pas ce que l'on dit ? L'envie de jouer avec la lame dissimulée entre mes doigts me titille, mais je me retiens.

D'une main, je me frotte le nez, agacée par des picotements. Une forte odeur fleurie agresse mes narines depuis une dizaine de minutes déjà. J'ignore qui, dans la panique, a fait tomber son sac sur le carrelage, mais je crois pouvoir dire sans me tromper qu'il ou elle a explosé son flacon de parfum. On va mourir d'asphyxie sans que l'intrus n'ait à faire quoi que ce soit si ça continue... 

Alors que mon odorat bataille contre son assaillant, j'avise la porte. Je suis assez proche et l'angle de tir me sera favorable si je dois attaquer la première. Avec un peu de chance, je peux atteindre une artère du cou avec mon arme avant que l'individu ne pénètre entièrement dans le pièce. Mes yeux refusent de lâcher l'entrée alors que ma main se resserre sur le manche de l'arme toujours à l'abri dans ma manche. Je guette le moindre bruit extérieur. Le temps passe toujours, comme un plongeur en apnée poursuivant sa descente. Le monde retient son souffle et  l'alarme est le cœur qui continue de chanter, seul témoin de la vie. Je commence à réciter de nouveau Melancholia dans ma tête pour ne pas trop penser.

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs, que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;

Des bottes martèlent soudain le sol dans le couloir. Et vu le nombre, il ne s'agit pas d'un seul individu. Je me redresse. Ma lame en arc de cercle émerge de sa cachette. J'entends presque la respiration de toutes les personnes de cette salle se suspendre. Vont-ils forcer la porte ou simplement passer leur chemin ? Mon cœur s'accélère et mes doigts se délient autour de mon arme, prêts à dégainer.

Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,

Les pas ne s'arrêtent pas. Heureusement pour nous. Ils poursuivent leur chemin jusqu'à disparaitre, emportant avec eux une menace de mort imminente. La tension redescend d'un cran. Dans le couloir, l'alarme intrusion continue de crier, imperturbable, ignorant que chacun a vu sa dernière heure arriver et repartir en l'espace de dix secondes.

Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.

À mesure que les mots défilent dans mon esprit, que les minutes s'égrènent, je prends peu à peu conscience de ce à quoi nous venons d'échapper. Je suis planquée derrière une table et un sac, avec certes une dague en main mais qui ne fera guère le poids face à une arme à feu. J'ai beau me dissimuler derrière un bon angle de défense, si je loupe mon coup, je suis trop loin pour agir avant les premiers coups de feu. Sans même parler du fait que je n'ai qu'une lame et qu'ils sont potentiellement plusieurs. Face à ses constatations, la belle assurance dans laquelle je me drapais s'effiloche.

Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !

De nouveaux bruits venant d'autres salles nous font tressaillir. Je tends l'oreille mais le silence est déjà revenu. Pour ne plus penser à rien le temps d'un instant, je baisse les yeux vers mon téléphone que j'ai mis en silencieux. J'ignore le regard noir de la prof et descends ma luminosité au maximum. Le dernier message de ma mère, reçu peu de temps avant que la première alarme ne retentisse, est toujours affiché sur l'écran. J'ai besoin de sa force, de sa présence alors je l'ouvre.

Alementa I - Braise [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant