Chapitre 40.1 : À l'œil I

101 21 31
                                    

Lanaya

Maya et moi soutenons Lyanna qui n'a toujours pas repris conscience. À force de la déplacer, le sang a recommencé à couler et nous laissons une sinistre trainée derrière nous. J'appuie régulièrement sur le cou de la blonde pour prendre son pouls. Son cœur bat encore mais j'ai l'impression qu'il ralentit de minutes en minutes. Je serre les dents. Faites qu'on arrive à temps...

Ma gorge s'assèche quand le poids de Lyanna s'affaisse de plus en plus contre moi. Je ne dirais pas m'être attachée à elle, cela serait un beau mensonge. Je ne lui ai jamais fait confiance, préférant de mille fois l'honnêteté sadique et cruel de Cameron à sa gentillesse qui peut camoufler n'importe quoi. Cela dit, je suis maintenant presque certaine qu'elle ne nous trahira pas pour le Conseil Je doute que ces blessures soient une mise en scène destiné à gagner notre confiance. Ce qui m'inquiète d'avantage que sa santé, je l'avoue, c'est mon avenir. Si elle vient à décéder, vais-je aussi en subir les conséquences ? Devrais-je rester en permanence sous azalée pour bloquer mon deuxième don ? Je cligne des yeux pour chasser ses pensées un brin égoïste. Avant de songer au futur, il faut avant tout sortir vivant de cet endroit de malheur. Une inspiration, une expiration.

Nous parcourons les couloirs décrépis du bâtiment. Je ne pensais pas que l'intérieur puisse être plus glauque que l'extérieur, mais force est de constater que je me suis trompée. Si déjà dans le camp, une ambiance malsaine pesait sur nos épaules comme les montagnes reposaient sur celles d'Atlas, là ce ne sont plus seulement les montagnes qui nous assomment. Ce sont les arbres qui nous étouffent de leurs feuilles, les océans, mers qui nous noient de l'intérieur, le vent des pleines qui nous fouette sans pitié et les avalanches de neiges qui nous tombent dessus... Cameron ouvre la marche, guettant d'éventuels poursuivants ou personnes susceptibles de nous barrer le chemin. Seul le bruit brisant le silence oppressant est celui de ses katanas qui fouettent l'air dans une danse faussement nonchalante. Mon regard se promène sur ce qui m'entoure. On se croirait dans un hôpital de guerre. Nous traversons de grandes salles avec des lits alignés. Dévorés par les mites et la salissure, certains matelas ont disparu d'au moins pour moitié. Tout semble disposé de manière que notre instinct nous ordonne de faire demi-tour dès maintenant. Les draps qui devaient être blancs à une époque ont échoué au sol et sont presque fossilisés par la poussière. Une sueur froide me descend le long du dos. Quelques charriots en fer sont abandonnés en milles pièces sur le sol, rouillés et démembrés. Des reliquats d'outils médicaux jonchent le sol, menaçant nos semelles de leurs anciennes lames. Ce n'est pas, on dirait... C'est un ancien hôpital de guerre.

Je jette un coup d'œil à Maya qui semble aussi choquée que moi. Ses yeux reflétant son horreur se baladent frénétiquement sur les pièces que nous traversons. Comment peut-elle vivre ici et ignorer cela ? Si elle joue la comédie, ça m'arrache la langue de le dire, mais elle est douée. Je comprends de mieux en mieux pourquoi ma mère n'a jamais voulu me parler de ce qu'elle a vécu ici. Je ne suis dans le camp que depuis une heure et plus je m'enfonce dans ses méandres, plus je suis convaincue de découvrir pire derrière la prochaine porte ou à l'angle du prochain couloir.

Cameron marche devant nous, fidèle à lui -même, le visage impassible. Pourtant, je commence à le connaitre et remarque que sa nuque tressaille à chaque nouvelle découverte. Des endroits de son corps deviennent peu à peu transparents, signe que même s'il s'efforce à ne rien laisser transparaitre, à l'intérieur de lui, la rage brûle. Et pour qu'il en vienne à se laisser envahir par son don, cette haine, cette colère ne doivent pas être une simple flamme. L'Alementa de l'Ombre est un incendie qui se cache derrière une étincelle. Dévastateur et sans pitié.

Arrivé devant une porte fermée, il donne un grand coup de pied dedans. Un hurlement terrifié me fait bondir et je me manque de lâcher Lyanna. À mes côtés, Maya se crispe mais ne bouge pas. Le cri qui nous a tant surpris se transforme alors en gargouillis et lorsque nous passons l'ouverture à moitié explosée par la rage de Cameron, un corps nous barre le passage. Une femme en blouse blanche git, le sang sortant en bouillons de sa plaie béante au niveau du cou. La tête échouée non loin est déjà entourée d'une flaque carmine ne cessant de grandir. Néanmoins la plaie est belle et nette, signe que Cameron n'a pas dû y aller de main morte pour réussir à trancher les os ainsi. Au moins elle n'aura pas souffert. Ses yeux sont figés dans une expression de déconcertement et de souffrance éternels. J'aurais pu la prendre en pitié si, à côté de sa main, ne trainait pas deux scalpels et une seringue remplie d'un liquide non-identifié. Ça et si sa blouse n'était pas imbibée d'un sang qui n'est de toute évidence pas le sien aussi. Des tâches plus ou moins claires, donc plus ou moins anciennes, témoignent des activités peu catholiques se pratiquant dans cet endroit. Mon cœur se serre et ma gorge se noue un peu plus d'appréhension. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises, j'en suis certaine. Et je peux déjà affirmer qu'elles ne seront pas bonnes.

Alementa I - Braise [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant